Voyages non gérés : la bataille fait rage

TMC et fournisseurs se livrent une âpre concurrence pour séduire les PME qui se passent d’agences de voyages. L’enjeu : canal direct contre canal indirect.

Paul Abbott, le patron d’Amex GBT, en salive d’avance. S’exprimant début novembre devant un parterre d’investisseurs et d’analystes afin de commenter les résultats financiers de la TMC du troisième trimestre, comme le rapporte l’excellent The Company Dime, il s’enthousiasme : « Les PME représentent la plus grande opportunité de croissance de notre marché ». Il rappelle que 70% des PME dans le monde ne font pas appel à une TMC. 

Le plus gros réseau d’agences de voyages indépendantes britanniques, Advantage Travel Partnership (ATP), indiquait récemment dans Business Travel News que sur les 74% de ses membres qui ont vu le nombre de leurs clients augmenter en 2023, près de la moitié de ces derniers géraient jusqu’à présent leurs voyages en interne, pour des budgets allant jusqu’à 2,5 millions d’€. 

Pourquoi un tel empressement de ces PME à se jeter dans les bras d’une TMC ? « La complexité des voyages pendant le Covid a été un facteur déterminant », avance Guy Snelgar, l’un des responsables d’ATP. La forte inflation qui impose une meilleure maîtrise des coûts ainsi que de nouvelles exigences en matière de durabilité constituent d’autres explications valables. 

Pour les TMC, le marché des PME, plus rentable, est une aubaine alors que les grands comptes n’ont pas retrouvé leurs niveaux de consommation d’avant Covid. Jeff Klee, le patron de l’américain AmTrav, à la fois plateforme et TMC, expliquait récemment lors d’un webinaire relayé par The Company Dime : « Les PME n’étant pas suffisamment grosses pour négocier leurs propres tarifs, l’agence de voyages perçoit de la part des hôteliers de lucratives commissions, alors que les tarifs négociés en direct par les grands comptes ne sont pas soumis à rémunération ». Ces commissions hôtelières représentent ainsi la première source de revenus d’AmTrav, 37% du total, loin devant les fees clients (25%).

Les compagnies aériennes et les chaînes hôtelières ont décidé de ne pas rester les bras croisés. Ce marché attise aussi leurs appétits, et pas qu’un peu ! Le groupe Hilton vient ainsi d’annoncer qu’il lancerait en début d’année 2024 une offre pour les PME réservant sur son site ou sur son application mobile avec des tarifs réduits, des points de fidélité et des outils de gestion des programmes hôtels. L’astuce ? Les entreprises pourront aussi accumuler des points dans le cadre du programme de fidélisation, en plus des points gagnés par les voyageurs.

Pour se justifier, Chris Silcock, directeur commercial de Hilton, a jeté une pierre dans le jardin des TMC, comme le rapportait le site Skift : « Nous pensons que personne ne sert particulièrement bien ce segment à l’heure actuelle ». La chaîne hôtelière compte faire la différence sur la rapidité (« pas de formulaire compliqué, pas de temps d’attente ») et un portail permettra aux entreprises « d’accéder aux données sur les séjours et de savoir où se trouvent leurs employés » afin d’être en ligne avec le devoir de diligence (duty of care). 

Les compagnies aériennes ne sont pas en reste. En Europe, l’allemande Lufthansa a lancé fin novembre avec Navan (ex-TripActions) une plateforme de voyages en ligne pour les PME de France et du Royaume-Uni. Baptisée BusinessToGo, elle permet de réserver auprès de 500 compagnies aériennes, ainsi que des hôtels, des locations de voitures et du ferroviaire. Elle peut également appliquer automatiquement les politiques voyages d’une entreprise, de même que les préférences personnelles du voyageur. 

L’intérêt pour le transporteur allemand ? La plateforme offre un accès aux tarifs NDC de la compagnie, tandis que les entreprises membres du programme PartnerPlusBenefit de Lufthansa peuvent continuer à gagner et à utiliser des points de fidélité. Sans compter l’élargissement potentiel de son portefeuille clients… « Nous avons conçu cette nouvelle plateforme intelligente en collaboration avec Navan afin de répondre à la demande des entreprises qui souhaitent gérer elles-mêmes leurs déplacements de manière efficace », a expliqué Heinrich Lange, directeur des ventes Europe du Nord de la compagnie.

Aux Etats-Unis, United Airlines et American Airlines ne cachent pas non plus leurs ambitions de séduire le voyageur d’affaires en direct. Début novembre, la première a d’ailleurs mis ses tarifs négociés à la disposition des voyageurs via son site web et son application mobile, comme le racontait The Company Dime.

Cette concurrence des fournisseurs menace-t-elle les TMC ? Paul Abott n’y croit pas : « Je ne pense pas que les clients choisiront un seul fournisseur comme source de vérité pour gérer leurs dépenses voyages, ce n’est pas réaliste », tout en reconnaissant que les marges des compagnies aériennes étaient plus élevées en direct qu’en indirect.

Jeff Klee est quant à lui plus mesuré : « Les voyageurs, en particulier les plus jeunes, n’aiment pas réserver dans nos canaux, ils préfèrent l’expérience du fournisseur en direct. Ils n’aiment ni l’écart de contenu, ni le fait qu’il soit plus difficile de modifier son billet. Si nous ne parvenons pas à résoudre ce problème, nous ne serons plus pertinents à l’avenir ».

S’exprimant fin novembre lors d’une grande conférence sur le voyage d’affaires, The Beat Live, le Pdg d’AmTrav a souligné que le segment des voyages gérés ne représentait plus une part aussi importante qu’avant : « Cela nous place dans une situation très dangereuse où les compagnies aériennes sont de plus en plus frustrées par les TMC qui refusent de se moderniser », faisant ainsi allusion à la résistance des agences de voyages à l’égard de NDC. Canal direct ou indirect, la bataille fait rage et elle est encore loin d’avoir livré son verdict. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Spotnana, vous allez en entendre parler

Le nouveau trublion du voyage d’affaires, lancé en 2020, commence à se faire un nom auprès des grands comptes. 

Le bonhomme est doté d’un sacré caractère. Sarosh Waghmar, fondateur de Spotnana, quitte l’Inde en 1994 pour les Etats-Unis grâce à une bourse d’études en informatique à l’université du Texas comme il le racontait dans un entretien à Business Travel News en 2018. 

Il créé sa première entreprise mais l’explosion de la bulle internet en 2001 provoque sa faillite et au même moment son appartement est ravagé par un incendie. Obligé de dormir dans sa voiture, presque sans le sou, il hésite à revenir en Inde. 

Se rappelant qu’il était devenu un grand voyageur lors de son premier job chez Deloitte, jonglant mieux que personne avec les miles, il a l’idée de proposer ses services pour aider les salariés à optimiser leurs programmes de fidélisation. Il remonte la pente et met le doigt dans l’industrie du voyage d’affaires, qu’il ne quittera plus. 

Puis il créé un logiciel de réservations qui devient une TMC à part entière, du nom de WTMC. En 2016, cette dernière met au point le « premier tuyau NDC au monde » avec American Airlines. « C’est à ce moment-là que j’ai réalisé que l’avenir du voyage d’affaires se trouvait dans la plomberie », explique-t-il dans Phocuswire

Son constat : trop ancienne, la plomberie qui alimente l’industrie entrave l’efficacité du système, au détriment du client. « Tout, de la couche GDS au mid-office, est très fragmenté avec de multiples parties prenantes ayant des motivations et des incitations trop diverses et parfois opposées ». 

Ni une ni deux, il bazarde tout, recommence à zéro, et lance en 2020 Spotnana en réussissant à lever 34 millions de dollars. Il s’entoure des meilleurs dont Johnny Thorsen, l’un des spécialistes mondiaux les plus reconnus de la techno dans le voyage d’affaires, et Bill Brindle, ancien patron des opérations chez Amex GBT. Et surtout, Steve Singh, co-fondateur de Concur, véritable icône de l’industrie, devient président du conseil d’administration. Bref, que du très lourd.

L’idée ? Construire une plateforme de gestion des voyages qui agit à la fois comme TMC ou comme une marque blanche en mettant sa technologie à disposition d’autres TMC ou d’autres acteurs. C’est sa première originalité : être une plateforme ouverte à tout le monde. « Les voyages d’affaires ont été bâtis sur des modèles d’entreprises très fermés, chacun construisant des choses pour lui-même et essayant ensuite de les intégrer à des tiers ». 

Le modèle économique ? Simple, un fee à l’utilisation, pas de frais initiaux ni de minimum, « je paye ce que je consomme ». 

Deuxième atout : la plateforme, globale et entièrement intégrée, est connectée directement avec les compagnies aériennes et tous les autres fournisseurs utiles pour le voyage lui-même et la gestion du voyage. L’ensemble n’est pas édifié sur une pile technologique existante et facilite l’expérience utilisateur. 

Troisième particularité : basée sur le cloud, la plateforme peut ainsi être déployée facilement et rapidement, en quelques semaines, à des dizaines de milliers de salariés répartis dans des dizaines de sites dans le monde. « Il s’agit là d’un changement massif de la structure des coûts pour le client », affirmait Steve Singh, dans un article de Skift.

C’est là aussi où Spotnana se démarque des autres nouveaux acteurs tels Navan (ex-TripActions) ou Travel Perk, elle s’adresse peut-être d’abord à des grands comptes dont la présence est mondiale plutôt qu’aux PME. Et début novembre, comme le rapporte The Company Dime, elle a annoncé avoir attiré une énorme prise dans ses filets, le géant de la distribution Walmart, première entreprise du monde en termes de chiffre d’affaires, plus de 600 milliards de dollars, qui vient s’ajouter à d’autres clients prestigieux, tels Amazon. Excusez du peu. 

Spotnana et Walmart ont ainsi lancé un projet pilote, d’abord déployé aux Etats-Unis, afin de pouvoir utiliser la norme NDC des compagnies aériennes. Theresa Gehler, directrice monde des achats voyages de Walmart, affirme que « la valeur ajoutée » est déjà évidente. Elle est particulièrement enthousiaste sur le potentiel des offres forfaitisées qu’autorise NDC et sur les capacités de libre-service de la plateforme qui permettent aux voyageurs d’effectuer eux-mêmes des changements et des modifications de billets au sein des canaux approuvés par l’entreprise.

Cette initiative intervient quelques mois après l’annonce d’un partenariat stratégique entre Spotnana (200 salariés désormais) et CWT, accord dont on ne sait pas encore grand-chose, sinon qu’il associe la technologie du premier avec les services globaux de la deuxième. Une chose est sûre : certaines entreprises souhaitent utiliser Spotnana tout en conservant leur TMC. C’est peut-être à cette aune qu’il faut interpréter ce partenariat. 

L’Europe intéresse-t-elle Spotnana ? Assurément et CWT pourrait à l’avenir lui servir de cheval de Troie. En attendant, elle vient d’intégrer Trainline qui lui permet d’élargir considérablement son contenu ferroviaire européen. Et on a appris récemment, via le site The Beat que Lufthansa, la compagnie pionnière sur NDC, avait pris une participation dans l’entreprise lors d’une deuxième levée de fonds de 75 millions de dollars en juillet 2022. Sans doute pas un hasard…

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Blockskye, nouvelle pépite du voyage d’affaires ?

Éliminer des intermédiaires tels les GDS, les cartes de crédit et les logiciels de notes de frais : vous en avez rêvé ? Blockskye l’a fait.

Le compliment n’est pas passé inaperçu. Début décembre, Paul Abbott, le Pdg d’Amex GBT, confiait que seul Blockskye offrait quelque chose de « véritablement nouveau » sur le marché du voyage d’affaires, comme le raconte un très bon article de The Company Dime

Le patron du leader du secteur sait de quoi il parle : Amex GBT a perdu l’année dernière le budget pour l’Amérique du Nord de PwC au profit de Kayak en partenariat avec Blockskye. 

Un camouflet qui avait fait l’effet d’un coup de tonnerre dans le Landerneau du voyage d’affaires, les grands comptes n’hésitant plus à confier leurs programmes voyages à des start-up, tels Walmart avec Spotnana (lire par ailleurs) et donc PwC avec Blockskye, adossé toutefois à un grand acteur du loisir, Kayak.

Créée en 2017, cette plateforme de réservations et de gestion des voyages d’affaires est fondée sur la technologie de la blockchain. Kézako ? Le mathématicien Jean-Paul Delahaye en a fourni la définition la plus parlante, celle « d’un très grand cahier que tout le monde peut lire librement et gratuitement, sur lequel tout le monde peut écrire, mais qui est impossible à effacer et indestructible ». Les avantages ? Rapidité, traçabilité, garantie de sécurité sans égal, élimination des tiers de confiance, donc des intermédiaires.

Éric Gray, responsable des achats voyages de PwC, parle d’ailleurs de la suppression des «intermédiaires sans valeur ajoutée ». Comment est-ce possible ? La plateforme fournit l’inventaire des tarifs via des connections directes avec les fournisseurs (et par Amadeus quand c’est impossible) et le paiement s’effectue directement entre l’entreprise et les fournisseurs. Simple.

Le géant du conseil semble ravi de l’expérience. Selon Éric Gray cité par The Company Dime, le service aux voyageurs est meilleur car le « document partageable » de la blockchain aide les agents de voyages à interagir avec les dossiers de voyage même lorsqu’ils sont réservés directement auprès des fournisseurs. Résultat : un taux d’adoption de 92% pour seulement 8% des transactions réservées par téléphone.

Par ailleurs, les réservations sont plus rapides et plus faciles. Les données atterrissent au bon endroit, dans les calendriers des voyageurs jusqu’au partenaire de gestion des risques de l’entreprise. Quant au paiement direct, il permet de réduire les dépenses manuelles.

Dernier avantage et non le moindre : le reporting s’appuie, grâce à la blockchain, sur une seule source de vérité. « Cela a grandement amélioré la précision et la transparence de nos données, explique Éric Gray. Nos fournisseurs et nous-mêmes voyons désormais les mêmes données lors des réunions et des négociations ».

Brook Armstrong, co-fondateur de Blockskye, estime que la plateforme permet de réduire les coûts d’au moins 4% du prix du billet, « ce qui représente une somme considérable dans les négociations contractuelles entre acheteurs et fournisseurs » écrit le journaliste.

Les fournisseurs directs de la plateforme ne sont pas encore très nombreux mais ils pèsent lourd : American Airlines, Avis, Hyatt, Lufthansa, Marriott, Southwest Airlines et United. 

Lors d’une conférence Phocuswright qui se déroulait en novembre à Fort Lauderdale, en Floride, Brook Armstrong a révélé que Blockskye aura généré 700 000 transactions et 800 millions de dollars de ventes en 2023. Pas mal pour des premiers pas ! Il a annoncé par ailleurs qu’il était en train d’intégrer ses 2e et 3eclients : Tripadvisor et le géant des spiritueux Diageo.

La start-up est très bien épaulée : on y retrouve au conseil d’administration deux vieilles connaissances de l’industrie, grands pros et anciens d’Amex GBT, l’ex-président Charles Petrucelli et l’ex-directeur directeur général Hervé Sedky. Il y a pire comme accompagnement. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Ce que l’IA va vraiment changer dans vos métiers

L’intelligence artificielle générative va profondément modifier l’industrie du voyage d’affaires. Vertigineux mais pas sans dangers.

Johnny Thorsen est sans doute aujourd’hui l’un des meilleurs spécialistes au monde des technologies du voyage d’affaires. Il est aussi vice-président chargé de la stratégie et des partenariats chez Spotnana, une start-up américaine qui se définit comme une plateforme tout-en-un pour les déplacements professionnels dont on reparlera dans ces colonnes.

En juin dernier, s’exprimant sur l’intelligence artificielle lors du Business Travel Show à Londres comme le raconte PhocusWire, il a demandé à l’auditoire « de se préparer à des choses qu’ils ne peuvent même pas encore imaginer. » Piquant alors la curiosité des travel managers et des acheteurs présents dans la salle, il se lance dans un exemple : « Si quelqu’un mettait un moteur d’IA au-dessus des recherches de Google Flights, on n’aurait plus besoin d’un moteur de recherche. Vous n’auriez plus besoin de SBT parce que ce moteur d’IA deviendrait aussi votre TMC en plus d’avoir accaparé les capacités de Google Flights. » Et de conclure en forme d’avertissement : « Préparez-vous donc à la nécessité de déconstruire et de réassembler votre programme de voyage car cette technologie accélérera les changements en cours. À part cela, jouez avec, utilisez-la dans votre vie privée et familiarisez-vous avec elle, car elle n’est pas près de disparaître. »

Science-fiction ? On n’en est pas encore là mais les travel managers doivent vite se pencher sur le sujet. Certes, l’IA est présente depuis de nombreuses années dans le voyage d’affaires, au travers de services comme les réponses aux questions fréquemment posées par les voyageurs (les fameux FAQ). Selon Mihai Dinu, gestionnaire de notes de frais chez UiPath, cité par Business Travel News, « l’évolution a été lente jusqu’à aujourd’hui mais l’IA générative comme ChatGPT est le chaînon manquant dans l’automatisation des voyages d’affaires. ChatGPT a le pouvoir de prendre des décisions, c’est un cerveau. »

D’énormes gains de productivité

Mat Orrego, Pdg de Cornerstone Information Systems, approuve et estime que de nombreuses tâches courantes de partage d’informations n’auront plus besoin d’être recherchées et transmises par un humain, le genre de travail qui occupe une grande partie de la journée d’un agent de voyages, écrit l’auteur de l’article, l’excellent Amon Cohen. 

Ce dernier voit aujourd’hui 3 conséquences majeures pour l’industrie du voyage d’affaires : 

  1. L’IA va créer un nouvel assistant pour la gestion et l’achat de voyages. Par exemple, les acheteurs ont beaucoup de contrats fournisseurs à gérer. « Or lorsque vous introduisez un contrat d’achat complexe d’une compagnie aérienne dans ChatGPT, il devient soudain plus clair car le robot aura eu la capacité de le résumer » explique Mat Orrego.
  • Les SBT pourraient disparaître. Will Tate, consultant, raconte ainsi que l’IA lira vos textos, vos courriels, vos demandes de calendrier, vos communications, et dira : « Madame X va avoir besoin de voyager à Londres tel jour. Elle doit y prononcer un discours à 10h. Je connais toutes ses préférences personnelles. Elle n’aime pas prendre un vol de nuit, elle aime arriver tôt et séjourner dans un hôtel en particulier. » Le système génère alors une suggestion d’itinéraire et invite madame X à cliquer pour réserver ! Mihai Dinu est plus prudent : « Je ne pense pas que cela se produira bientôt (…), notre secteur et les contenus sont très fragmentés et il existe un énorme réservoir de données imprécises ou inexactes, c’est un véritable défi. »
  • Les fournisseurs pourraient détourner les voyageurs du programme de l’entreprise. ChatGPT est une arme redoutable pour la vente et le marketing personnalisés. « Les fournisseurs vont proposer aux voyageurs des offres très ciblées, adaptées à leurs préférences mais très probablement en contradiction avec les objectifs de la politique voyages », avance Will Tate.

Les TMC en première ligne

Pour les TMC, le changement pourrait aussi être radical mais constitue une opportunité alors qu’elles sont confrontées à une pénurie de main d’œuvre. Dans un autre article de Business Travel News, John Morhous, spécialiste des technologies chez FCM, déclare : « L’IA a le pouvoir d’améliorer l’intelligence, la créativité et la perspicacité. Cela nous offre des opportunités sans précédent qui s’étendent à tous les points de contact ».

Selon lui, « l’IA peut contribuer à améliorer la gestion des voyages d’affaires de multiples façons, notamment en créant des communications personnalisées sur les politiques voyages, en capturant automatiquement les réservations hors politique qui ont fuité, en clarifiant et en acheminant les demandes de voyage vers le meilleur canal de réservation et en capturant toutes les informations sur le voyage pour faire gagner du temps aux agents de voyages. »

Daniel Senyard, toujours de FCM, s’enthousiasme : « Il s’agit d’une étape passionnante vers la redéfinition de la manière dont notre industrie aborde le service et augmente considérablement la vitesse à laquelle nous pouvons offrir une véritable valeur à nos clients ».

Les travel managers menacés ?

Et les travel managers dans ce maelström ? Vont-ils disparaître ? Mat Orrego et Mihai Dinu pensent qu’ils verront au contraire leur rôle renforcé. « L’IA peut devenir l’assistant virtuel des gestionnaires de voyages, elle élargit leurs capacités et leur permet de se concentrer sur des questions plus stratégiques que tactiques. »

Et tout ceci à quel horizon ? Johnny Thorsen affirme que l’IA générative passe aujourd’hui par le cycle normal de l’engouement : « Et puis viendra le temps des déceptions et des histoires terribles sur des données mal interprétées ou mal utilisées. Ensuite seulement arrivera le temps des solutions réellement disponibles, où beaucoup de choses se produiront, de sorte que l’année 2024 sera probablement le moment des premières solutions vraiment significatives dans le voyage d’affaires. »

D’ici là, Microsoft fait partie des sociétés qui cherchent à connecter la technologie GPT à l’internet. «C’est à ce moment-là que le véritable pouvoir de ChatGPT sera révélé et qu’il deviendra pertinent pour notre industrie » assure Mihai Dinu. « Sans données en temps réel, il ne sert à rien, on ne peut pas se fier à des informations d’horaires et de numéros de vol obsolètes. »

Il reste bien sûr de nombreuses interrogations sur la protection des données (où vont-elles ?) et sur la consommation très énergivore de l’IA alors que le climat se réchauffe dangereusement. Karim Jouini, le patron fondateur d’Expensya, expliquait récemment qu’une décision prise par un humain consommait 30 watts. La même décision par ChatGPT ? 1 megawatt, soit 33333 fois plus… 

François-xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

La techno des TMC : c’est aussi votre problème !

Dans un métier de plus en plus technologique, les travel managers doivent mettre au défi les choix des TMC en la matière.

Regarder sous le capot des TMC. C’est le conseil que donne aux travel managers le très bon papier de Business Travel Mag afin de regarder au plus près « ce qui alimente leurs moteurs technologiques. » Jusqu’à présent, très peu le faisaient mais c’est en train de changer.

Paul Tilstone, consultant et directeur associé de Festive Road, le confirme : « Les travel managers veulent désormais savoir ce qui se cache derrière la technologie de leur TMC afin de pouvoir juger s’ils obtiendront le bon contenu, et de la bonne manière, à même de valoriser leur programme voyages et d’apporter la meilleure expérience à leurs voyageurs. »

La priorité est de faire la distinction entre les TMC qui ont leurs propres technologies et celles qui s’appuient sur des tiers. Et cela n’est pas aussi simple qu’il n’y parait, comme le décrit Scott Wylie, directeur de la technologie chez TripStax, un spécialiste britannique du traitement des données : « Le secteur est truffé de TMC qui vantent leurs piles technologiques mais en réalité il s’agit d’une combinaison de plusieurs applications de fournisseurs tiers, en marque blanche et consolidées avec des intégrations complexes et souvent instables. »

Des TMC propriétaires ou non de leur techno ? Les deux formules ont, pour les clients, leurs avantages et leurs inconvénients. Celles qui ont développé leurs propres solutions peuvent inspirer, à raison, davantage confiance quant à leur expertise et leur implication. En revanche, il est plus difficile de s’en défaire si vous souhaitez changer de prestataire.

Les API démocratisent la techno

S’appuyer sur des tiers présente aussi des bénéfices car il est dans l’intérêt de ces derniers d’innover en permanence sinon ils ne survivraient pas. C’est souvent le choix des petites TMC qui, écrit le journaliste, « avec les bonnes équipes opérationnelles et informatiques, peuvent parfois être plus agiles, avec des taux d’adoption beaucoup plus rapides que les grandes TMC. »

Une chose est sûre : le développement des API, les interfaces de programmation (à l’origine notamment de la fragmentation des contenus), permettent à toutes les TMC, grandes, moyennes ou petites, de se brancher très rapidement sur toute nouvelle technologie et de se l’approprier. Une tendance qui va s’accentuer à l’avenir.

Pour finir, selon Nick Easen, l’auteur de l’article, l’indicateur le plus important est sans doute la philosophie générale de la TMC en matière de technologie : « A-t-elle une culture de l’innovation, du développement et de la remise en question ? Il est essentiel que les travel managers s’alignent sur des TMC en constante évolution. »

5 conseils à retenir :

  • Assurez-vous que toute fonctionnalité importante est alignée sur les exigences de votre propre programme de voyages.
  • Demandez-vous sila solution technologique est conçue pour la connectivité avec des tiers
  • Déterminez quelles applications et quels contenus sont importants, pour des raisons aussi bien opérationnelles que commerciales, et lesquels ne le sont pas.
  • Choisissez une agence de voyages qui innove et investit en permanence dans la technologie.
  • Renseignez-vous sur la feuille de route technologique de votre TMC.

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Modèle économique : les TMC sous pression

Une conjonction inédite de circonstances place les TMC dans une situation délicate : jamais leur modèle de revenus n’a semblé si bancal qu’aujourd’hui. 

Le débat fait rage. Et pas seulement qu’en France où le sujet sera largement débattu lors des prochains congrès Manor et Selectour qui se tiendront en novembre. Ces derniers mois, la presse anglo-saxonne a multiplié les articles, parmi lesquels une excellente synthèse de BTN Europe, sur le modèle économique des TMC dont beaucoup d’experts estiment qu’il est arrivé à bout de souffle. 

En cause, un concours de circonstances sans précédent qui, selon le journaliste, « fait des ravages » : 

  • Baisse des incentives GDS, en raison de la montée en charge de NDC.
  • Baisse des revenus fournisseurs comme la SNCF en France, Qantas en Australie, American Airlines aux Etats-Unis rejointe récemment par United Airlines.
  • Fragmentation du contenu qui contraint notamment les TMC à adopter du contenu non GDS, ce qui représente un coût.
  • Augmentation des coûts de main d’œuvre, la pénurie de personnel obligeant les TMC à hausser les salaires afin de se rendre plus attractives.
  • Pression des clients sur le niveau des transaction fee lors des appels d’offres. 
  • Sans compter le taux d’adoption des réservations en ligne qui n’est pas revenu aux niveaux antérieurs à la crise du Covid et qui nécessite donc davantage d’intervention humaine.

Conséquence : les TMC augmentent leurs tarifs ou en introduisent de nouveaux, au grand dam de leurs clients. Un consultant interrogé par BTN raconte : « J’ai étudié de nombreux appels d’offres et c’est parfois de la folie, il peut y avoir jusqu’à 50 lignes pour les frais de transaction par pays, plus 20 autres frais et même davantage pour la mise en œuvre, les transferts de données, le suivi des billets inutilisés… des frais, des frais et encore des frais ! »

Pas étonnant pour Guy Snelgar, directeur des voyages d’affaires d’un réseau d’agences de voyages britanniques : « Dans un modèle où les acheteurs cherchent à atteindre le coût minimum absolu pour chaque type de transaction, cela aboutit inévitablement à une structure tarifaire complexe ». Et d’expliquer : « Si le transaction fee est réduit à portion congrue, alors la suppression d’un incentive GDS ou les coûts supplémentaires engendrés par un traitement manuel d’une modification de la réservation peuvent rendre ce transaction fee insoutenable sans supplément ou augmentation ». 

La fragmentation du contenu change tout

Un avis partagé par beaucoup qui pointent du doigt la pression trop forte des clients sur les TMC. «Certaines entreprises refusent d’accepter qu’il y a un prix à payer pour obtenir les services qu’elles souhaitent » déclare ainsi Margaret Birse, ancienne directrice mondiale des voyages chez Serco. Elle poursuit : « Le coût des frais d’agence reste faible par rapport au coût global des voyages et l’optimisation du programme voyages passe par un équilibre entre le coût et le service ».

La baisse continue des frais de transaction est-elle de la seule responsabilité des clients profitant de la concurrence des TMC ? Pas seulement. Comme l’explique très bien Guy Snelgar dans un autre article de Business Travel News, « les GDS ont créé petit à petit un système incroyablement efficace qui a permis de traiter automatiquement les réservations de manière rapide, précise, cohérente et peu coûteuse. Ce traitement normalisé et rentable fut un facteur déterminant dans la baisse constante des frais de transaction des TMC ». En effet, grâce aux progrès du canal traditionnel GDS, les TMC ont été en mesure de gérer davantage de réservations avec moins de personnel, un phénomène amplifié par l’arrivée des SBT au début des années 2000. 

Mais la fragmentation du contenu et l’avènement de NDC changent la donne. Ces nouveaux canaux de distribution, s’ils permettent aux compagnies aériennes de mieux vendre, commercialiser et fixer le prix de leurs produits, rendent le processus de gestion des voyages beaucoup plus complexe pour les TMC. Il n’existe pas un mais des NDC, autant que de compagnies. Selon Guy Snelgar, « les TMC doivent effectuer un travail considérable pour normaliser tout ça ». Sans compter les énormes défis pour compléter, modifier et traiter les réservations car « NDC fait, encore aujourd’hui, moins de choses que les canaux traditionnels ». 

Frais d’agences : hausse inéluctable ?

Conséquence : les TMC doivent investir davantage dans les systèmes technologiques et la main d’œuvre nécessaire à la gestion de ce contenu diversifié. Pour ce professionnel britannique, « en transférant une partie des coûts de distribution sur les TMC, les compagnies aériennes contraignent ces dernières à augmenter les frais de transaction facturés à leurs clients ».

Jusqu’alors, les revenus des TMC se partageaient équitablement entre fournisseurs et clients selon John Snyder, le Pdg de BCD Travel. Compte tenu de la situation cet équilibre est en train de changer, et ce dernier annonce d’ailleurs clairement la couleur : « Nous devons obtenir plus de revenus des clients ». 

Certains travel managers ne l’entendent pas de cette oreille et témoignent, toujours dans BTN : « Si une TMC fait payer quelque chose qui lui fait défaut, c’est peut-être qu’elle n’a pas fait les choses correctement dans sa feuille de route technologique depuis des années », déclare Ben Park, directeur principal des achats et des voyages chez Parexel. 

Un consultant indépendant, qui souhaite rester anonyme, abonde : « L’ensemble du contenu GDS et non GDS… les acheteurs n’aiment pas cela. Je devrais pouvoir obtenir tout le contenu dont j’ai besoin. Et ce que doivent faire les TMC en back-office pour y arriver, c’est leur problème ».

Transparence : le point d’achoppement

Mais la critique majeure et récurrente des acheteurs concerne la transparence des flux financiers des TMC, notamment des revenus fournisseurs. Ben Park, encore lui, est de ceux-là : « Je veux connaître l’ensemble des flux de revenus générés par mon programme voyages afin de m’aider à évaluer les conflits éventuels mais aussi pour voir s’il y a des opportunités d’économies ». Et de détailler : « Que se passe-t-il si je passe de la compagnie aérienne A à la compagnie B qui m’offre de meilleures conditions mais dont les incentives pour la TMC sont moins intéressants ? Mes frais d’agence devront-ils augmenter ? » 

Martin Warner, désormais consultant après avoir été vice-président exécutif chez CWT, estime que ce sujet de la transparence est la preuve que les TMC n’ont toujours pas réussi à justifier leur valeur ajoutée ni « à donner une image claire et complète de l’ensemble des variables qui ont un impact sur le coût de la gestion des voyages ». Il ajoute : « Alors que les TMC ont été très opaques sur les revenus fournisseurs et les incentives GDS, il est compliqué pour elles de revenir aujourd’hui vers le client et de lui dire : vous savez, ce revenu dont on ne vous a jamais parlé, eh bien on a besoin maintenant que vous le couvriez parce qu’il a disparu ! » Pas simple en effet. Voilà qui promet des débats encore très animés ces prochains mois. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Navan, le voyageur, rien que le voyageur ?

TripActions s’appelle désormais Navan, une marque grand public destinée à accélérer le développement de la TMC avec le soutien du voyageur. Au détriment du travel manager ?

L’argument est un peu déroutant. Souhaitant justifier le changement de nom de TripActions et son accès dorénavant ouvert à tous les voyageurs et non plus aux seuls employés des entreprises déjà clientes, Zahir Abdelouhab, responsable de la société en France, explique dans deplacementpros.com : « L’idée est que si on a 100 personnes travaillant pour une même entreprise qui utilisent notre service à titre personnel, on puisse aller voir cette entreprise pour le lui signaler ».

Difficile pourtant d’imaginer un voyageur d’affaires lambda, qui n’a jamais utilisé Navan, se rendre sur la plateforme pour réserver ses vacances plutôt que de s’adresser aux Expedia, Booking et autres mega-agences en ligne qui ont l’antériorité, le savoir-faire et la légitimité sur le créneau des loisirs. 

La vérité est sans doute ailleurs. En adoptant une marque grand public et en s’ouvrant à tous (il suffira juste de donner une adresse courriel professionnelle lors de l’inscription), Navan veut en réalité appliquer une recette qui a parfois fait ses preuves dans le monde des solutions BtoB et qui a été expérimentée avec un certain succès par une entreprise comme Expensify. Depuis sa création en 2008, ce spécialiste américain de la gestion de note de frais aurait accueilli plus de 10 millions de membres, traité et automatisé plus de 1,1 milliard de transactions de dépenses sur sa plateforme.

L’idée est de s’adresser directement aux collaborateurs de l’entreprise, et plus seulement aux décideurs. Aux Etats-Unis, cette stratégie est appelée « modèle économique ascendant » (bottom-up business model). Après s’être inscrits gratuitement pour effectuer leur note de frais et avoir constaté les avantages qu’ils en retirent, les salariés défendent la plateforme Expensify en interne et peuvent convaincre les décideurs de l’adopter à l’échelle de l’entreprise. En résumé, un bon vieux marketing du bouche-à-oreille qui s’appuie sur les nouvelles techniques de viralité, numériques principalement. 

Navan veut faire comme Expensify, viser désormais un large public, les voyageurs d’affaires, et plus uniquement les travel managers et les acheteurs. Le terrain de jeu idéal ? Les PME évidemment. Une très large majorité d’entre elles ne gèrent pas leurs voyages via une TMC et n’ont pas les ressources internes pour le faire. Amex GBT estimait avant le Covid ce marché mondial « non géré » à 675 milliards de $ contre 270 milliards pour le marché traité par les TMC. Une manne énorme. 

Pour séduire ce large public, Navan souhaite donc s’appuyer sur un nouveau nom, plus « mainstream » comme disent les Américains, en capitalisant sur son point fort : l’expérience utilisateur, qu’elle aspire à améliorer en fusionnant toutes ses solutions en une seule super application. Car même ses contempteurs les plus sévères le concèdent, son outil est bon, voire très bon. Dans un article écrit au vitriol paru dans The Company Dime, le journaliste Jay Campbell donne la parole à des acheteurs et des travel managers très critiques envers l’ex-TripActions. Mais l’un d’entre eux reconnait : « leur outil est vraiment agréable à utiliser (…). Pour 90% de mes réservations qui ne nécessitent pas d’assistance humaine, c’est génial ». Pour un autre acheteur, « il est sans aucun doute meilleur que tous les autres outils existants ».

L’inscription gratuite de tout voyageur, même si son entreprise n’est pas cliente de Navan, risque toutefois de compliquer la vie de certains travel managers. En effet, un collaborateur d’une société dont le budget voyages est géré par n’importe quelle autre TMC que Navan pourra donc s’inscrire sur la plateforme et réserver des prestations hors politique voyages. Cela ne se fera pas sans poser des problèmes de remboursement au voyageur et, surtout, les grandes entreprises ne pourront pas accepter bien longtemps un process parallèle de notes de frais sans respect de la politique voyages. Mais c’est aussi, pour Navan, une façon de passer outre les travel managers et leur forcer la main. Et comme me le disait un patron de TMC, non sans ironie : « Navan va draguer des voyageurs qui sont obligés de passer par une autre TMC pour qu’ils essaient de pousser la plateforme à la place de leur dinosaure ».

Plus généralement, cette nouvelle orientation stratégique en direction du voyageur révèle une forme de défiance de Navan à l’égard des travel managers et des comptes « gérés ». La société californienne ne s’en cache même pas dans le communiqué qu’elle a envoyé pour annoncer son nouveau nom. Dès les premières lignes, elle explique que « la grande majorité des sociétés obligent aujourd’hui leurs équipes à utiliser des outils qui génèrent de la frustration, les poussant à trouver des alternatives ou à bouder les solutions mises à leur disposition ». Contacté, un travel manager qui a souhaité garder l’anonymat, s’étonne : « En clair, Navan s’adresse aux entreprises, ses clients potentiels, en leur disant qu’elles n’ont rien compris aux besoins internes de leurs employés ».

Navan pêcherait-elle un peu par arrogance ? C’est ce que lui reprochent les acheteurs interrogés par The Company Dime. L’un d’entre eux témoigne : « On a souvent l’impression de ne pas être considéré comme un client et quand on essaie d’expliquer les choses, on est traité de ringard ». Un autre acheteur confirme : « Ils ne nous écoutent pas, ils pensent que le rôle d’un travel manager est celui d’un assistant de direction ». 

Navan a les défauts de ses qualités : elle est avant tout une entreprise de tech, et même de fintech, et se pense comme telle, avant d’être une TMC. D’ailleurs, rares sont ses employés qui ont déjà travaillé dans une TMC. D’où un certain hiatus sur la notion même de service que peut rendre la TMC. Un client de Navan, toujours dans The Company Dime, affirme : « C’est le 1% de nos réservations qui nécessitent l’aide d’un agent de voyages qui nous rend fou ». Un autre acheteur ajoute : « Si Navan résolvait ces problèmes de service, elle pourrait être une très bonne plateforme ». 

Dans une excellente interview d’Ariel Cohen, le co-fondateur de Navan, Elizabeth West, la rédactrice en chef de Business Travel News, pointe aussi du doigt cette faiblesse des fonctions supports et le manque d’expertise interne sur le voyage d’affaires. Ariel Cohen répond par une pirouette, difficilement vérifiable : « Nous avons 9000 clients, et nous en ajoutons 300 par mois, (…) partent-ils ou restent-ils ? La majorité d’entre eux restent avec nous pendant des années ». 

Une chose est sûre : avec ce nouveau nom et cet accès ouvert à tous, Navan écrit un nouvel épisode de la bataille des PME que nous avions pressentie et décrite en décembre 2021 dans l’Oeil de l’AFTM. Comme un fait exprès, American Express GBT vient d’annoncer qu’elle se réorganise autour de deux axes, les grands comptes et comptes multinationaux d’une part, les PME d’autre part. Amex GBT dont Ariel Cohen annonce la mort prochaine, à l’instar de Concur, dans ce podcast spécialisé sur le capital risque paru le 8 février dernier (écouter à partir de la 29e mn). Vous avez dit arrogant ? Pensez donc !

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Le transaction fee fait de la résistance

Le modèle de rémunération des TMC fondé sur le transaction fee, que l’après-Covid devait mettre au placard, reste la norme, et de loin. La seule faute aux clients ?

Il devait disparaître corps et biens. Après avoir étalé toutes ses limites pendant la pandémie et fait plonger dangereusement les TMC, le transaction fee aurait pu (dû ?) laisser la place à un autre modèle de rémunération plus solide pour les agences de voyages et plus juste dans le partage des risques. Il n’en a rien été. Dans des propos rapportés par Business Travel News, John Snyder, le Pdg de BCD Travel, ne cache pas déception et parle de « sa plus grande frustration depuis le début du Covid ». 

Il esquisse même le début d’une autocritique en ajoutant : « J’ai d’énormes regrets que nous n’ayons pas poussé plus fort, nous avons pourtant poussé assez fort mais les clients nous ont refoulé ». L’échec est patent, il reconnait l’incapacité des TMC à convaincre les entreprises d’adopter un autre modèle tel que l’abonnement. « Tout le monde s’y convertit dans sa vie personnelle, Netflix, Amazon…, la tarification par abonnement contrôle le monde mais nous n’arrivons pas à sortir de cette mentalité de la transaction ». 

Interrogé par le journaliste Michael B. Baker, le vice-président en charge des finances de CWT, Brady Jensen, est plus nuancé : « Lors de certains appels d’offres, nous avons parfois constaté un changement, avec des entreprises qui se renseignent sur les modèles autres que le transaction fee ». 

Selon John Snyder, il incombe en partie aux consultants de convaincre les entreprises de la nécessité de changer. Brady Jensen a en effet noté que les appels d’offres qui étaient ouverts à différents modèles de rémunération avaient tendance à être accompagnés sinon dirigés par des consultants. Problème : ces derniers rejettent la faute sur les TMC ! Caroline Strachan, directrice associée de Festive Road, a ainsi déclaré « qu’elle avait demandé aux TMC des prix créatifs lors de chaque appel d’offres lancé depuis le début de la pandémie. La plupart du temps, l’entreprise n’a pas obtenu de réponse à sa demande ».

Les TMC ne seraient donc pas prêtes à changer de modèle ? C’est la thèse défendue par une autre consultante, Bex Deadman : « Elles ont construit tout un système complexe sur la base des modèles commerciaux actuels et certains de leurs fournisseurs sont encore rémunérés à la transaction ». 

Comme l’écrit l’auteur de l’article, « si les modèles non fondés sur la transaction sont logiques sur le papier pour les TMC, leur mise en œuvre effective est un processus plus compliqué ». En clair, pour convaincre leurs clients, les TMC vont devoir changer d’état d’esprit, former en interne et faire preuve d’innovation. Face à des clients confortablement installés dans un système à la transaction et réticents à l’idée d’un plus juste partage des risques, la tâche s’annonce décidément ardue. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Les OBT : priorité des acheteurs en 2023

L’attente des entreprises n’a jamais été aussi forte à l’égard des outils de réservation online (OBT). Voici pourquoi.

Depuis des années qu’elle réalise cette enquête, l’ITM (l’équivalent britannique de l’AFTM) n’avait jamais vu ça. C’est la première fois en effet que l’optimisation des OBT arrive en tête des priorités des acheteurs selon leur sondage annuel relayé par Business Travel News Europe. Elle est même passée de la cinquième à la première position en l’espace de douze mois !

Un bond qui traduit en réalité une inquiétude : 40% des personnes interrogées ont le sentiment que leur OBT n’est pas prêt à soutenir la réalisation de leurs principaux objectifs, notamment en matière de duty of care (affichage des bonnes informations au moment de la réservation), mais aussi d’affichage intégré air/ferroviaire (lire par ailleurs), de modification et d’annulation de réservation…

Mais le plus grand mécontentement concerne la capacité des OBT à inclure les budgets carbone et les émissions carbone au moment de la réservation. 75% des acheteurs s’en disent insatisfaits. 

Les OBT sont clairement attendus au tournant. Ce que le journaliste Andy Hoskins, dans un autre article de BTN Europe, résume ainsi : « Avec le retour d’un semblant de normalité, (…) on s’attend à ce que les OBT aident les voyageurs à s’orienter dans la complexité de l’après-Covid mais aussi à ce qu’ils soulagent un secteur miné par le manque de personnel et les perturbations ». 

Faut-il faire jouer la concurrence et changer d’outil ? Andy Hoskins en profite pour rappeler aux acheteurs et aux travel managers quelques conseils utiles au moment de choisir son OBT. Le plus important : se concentrer sur le contenu, l’expérience client et le contrôle sans oublier bien sûr le coût et la capacité de personnalisation. 

Citée dans l’article, Nathalie Barfield, d’Areka Consulting, rappelle aussi que la façon dont l’entreprise contracte avec l’OBT est capitale car certaines fonctionnalités ne seront disponibles que par le biais d’un contrat en direct avec le fournisseur et non via une TMC par exemple qui ferait office de revendeur. 

Une autre astuce a été donnée par un acheteur s’exprimant au dernier Tech Talk (organisé par BTN) qui s’est tenu à Londres en novembre dernier : « Quand je demande à un fournisseur quels sont ses problèmes ou ses limites et qu’il me répond « aucun », je trouve ça suspect. En revanche, s’il me parle de problèmes passés et de la façon dont il les a surmontés, je le trouve plus crédible ». 

Nathalie Barfield soulève aussi un point d’attention : les promesses de développement. « N’hésitez pas à poser de nombreuses questions. Cette fonctionnalité est-elle en ligne ou en version bêta ? Avec qui est-elle en ligne ? Pouvez-vous me donner des références ? Quand pourrai-je en bénéficier ? Ne vous laissez pas berner par les fonctionnalités vraiment cool qui figurent en haut des documents marketing ».

La consultante insiste enfin sur l’implication et le soutien nécessaire de la TMC dans le processus et, en interne, sur l’engagement des services informatiques, financiers, sécurité et des ressources humaines. 

Un changement d’OBT est toujours complexe et peut générer des perturbations, si bien que les acheteurs et les travel managers y sont souvent réticents malgré les frustrations engendrées par l’outil en place. Mais le contexte est inédit. La pandémie est passée par là, créant de nouvelles attentes et nouveaux besoins, la fin prochaine de Traveldoo met le marché en ébullition, et la perspective de NDC implique de sacrés défis pour les OBT. Guillaume Ridolfi, directeur commercial France et Benelux de SAP Concur, confirmait récemment au Grand Live du Voyage d’Affaires : « On est beaucoup plus challengé par les clients qu’avant le Covid ». Une pression qui ne pourra être que bénéfique aux entreprises : rarement autant qu’aujourd’hui les fournisseurs d’OBT n’ont, semble-t-il, décidé d’engager de tels niveaux d’investissements pour faire progresser leur outil. Certaines mauvaises langues diront qu’il était temps…

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Les reportings des TMC sont-ils vraiment nuls ?

La qualité des données fournies par l’agence de voyages est régulièrement pointée du doigt par les travel managers. Les TMC en sont-elles les seules responsables ?

La charge est rude. Lors de la convention de la GBTA en août dernier, Ann Dery, travel manager chez Standard & Poor’s Global, n’y est pas allée avec le dos de la cuillère : « Comme nous le savons tous, les données de la TMC sont horriblement mauvaises. Je ne sais pas pourquoi elles n’arrivent pas à régler le problème une fois pour toutes mais c’est mauvais, incomplet, inexact et inopportun ». Et bing !

Les propos, rapportés dans un excellent article de The Company Dime, ne sont pas isolés. Steve Sitto, directeur mondial de la mobilité chez Tesla, renchérit : « La collecte des données sur les voyages d’affaires dans de nombreux pays est un véritable gâchis ». Dan Pirnat, fondateur de Data Insights Inc, enfonce le clou : « Mon expérience m’a montré que la qualité des données de la TMC ne s’est guère améliorée, en particulier chez les mégas TMC ».

Les raisons avancées par les experts interrogés par The Company Dime montrent toutefois que les responsabilités sont plus partagées qu’il n’y parait et ne reposent pas uniquement sur les épaules des TMC. Selon Susan Hopley, Pdg de The Data Exchange, « il y a trop de maillons dans la chaîne de données des voyages d’affaires, qui non seulement utilisent des configurations de données et des algorithmes de traitement différents (générant ainsi beaucoup de complexité), mais qui doivent aussi partager des données concurrentielles ». Pour elle, la question de savoir à qui appartiennent les données reste un point de discorde. 

Rock Blanco, un ancien responsable technique de TMC, confirme : « Lorsque, pour une même transaction de voyage, l’entièreté des données n’est pas accessible par l’ensemble des fournisseurs directement concernés par cette transaction, vous créé des silos qui créent eux-mêmes des obstacles au partage d’informations ».Résultat : des incohérences et une qualité dégradée des données. 

Dans un autre article du même media, Suzanne Boyan, responsable mondiale des voyages chez ZS Associates, va même plus loin et parle d’un manque de transparence sciemment entretenu par les fournisseurs afin de gêner les entreprises : « Quand vous ne pouvez pas voir précisément les lignes de dépenses, négocier correctement devient alors très difficile ».

Rock Blanco pointe aussi du doigt la responsabilité du GDS : « Lorsque vous avez un secteur dont le système de point de vente (l’agence de voyages) est encore basé sur un terminal muet des années 70 appelé GDS, vous allez rencontrer rapidement des limites sur la qualité des données ».

D’autres experts jugent néanmoins sévères les critiques dont font l’objet les TMC et même « injustes » selon Erik Mueller, Pdg de Grasp Technologies, pour qui la multiplicité des canaux rend plus complexe le contrôle de la qualité des données : outil de réservation en ligne, réservation offline, réservation hors canal, réservations dans diverses régions du monde… 

Scott Gillespie, le célèbre consultant de tClara, se démarque une nouvelle fois avec un point de vue original sur le sujet : « Les problèmes persistent depuis de nombreuses années et nous avons fait de modestes progrès, donc ma conclusion est qu’il n’y a pas de marché pour une solution ». Et d’expliquer : « Les acheteurs s’attendent à payer trop peu et les fournisseurs disent : nous avons besoin de plus que ce que vous offrez pour que cela vaille la peine de résoudre ce problème. Je pense que la conclusion est que les acheteurs sont prêts à vivre avec ce problème, le résoudre n’apportera pas une valeur ajoutée suffisante pour justifier les coûts ».

Une vision contestée par Suzanne Boyan, qui se dit prête à payer davantage pour des données de meilleure qualité si le secteur du voyage d’affaires était « aussi transparent que d’autres secteurs ». Selon elle, cela pourrait faire progresser le devoir de diligence et les négociations avec les fournisseurs tout en préservant « une marge bénéficiaire équitable ».

Une chose est sûre : le sujet de la qualité de la donnée va s’imposer un peu plus à l’heure où la distribution se fait plus ouverte et plus fragmentée. Dès lors, selon Dan Pirnat, les TMC ne pourront fournir de reporting de bonne facture « sans investissement important ». Sous couvert d’anonymat, un observateur met la pression : « Le problème est d’autant plus capital qu’interpréter les données de voyage est la principale raison d’être de la fonction du travel manager ».

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM