Edito mensuel de Michel Dieleman : Régulons le « free-floating » !

Le free-floating est né en Chine, de l’idée d’étudiants qui voulaient partager entre eux des vélos sans contrainte. L’idée est rapidement reprise par des start-up, dont Ofo en 2014 qui est le premier à se lancer sur le marché chinois. Le marché, d’abord asiatique, s’européanise rapidement en Allemagne, en Italie, au Royaume-Uni puis en France. Mobike et Obike sont avec Ofo les pionniers du service.

Le free-floating a pour principe une utilisation simple et libre de moyens de locomotion roulants mis à disposition des utilisateurs via une application téléchargeable sur smartphone. Grâce à cette dernière, l’utilisateur est géolocalisé, l’appareil le plus proche lui est indiqué, il peut régler son utilisation et ainsi le débloquer. Après son déplacement, il lui suffit de le stationner et de le verrouiller pour le laisser libre d’être à nouveau utilisé. Partout où ils sont installés, les engins en free-floating rencontrent un succès immédiat. Un employé d’Uber, témoignant sous couvert d’anonymat, dans la presse américaine, annonce même que la société a constaté une baisse de 10 % de ses réservations de VTC à San Francisco après l’introduction de ses vélos en libre-service.

Si l’abord simple et pratique est indéniable, l’aspect écologique, évident au premier abord, est à tempérer. Face à l’incivisme, voire au vandalisme de certains usagers, ces flottes peuvent être vite détériorées. Les sociétés propriétaires ont économiquement parfois plus intérêt à remplacer leur flotte qu’à la réparer. C’est ainsi qu’en Asie naissent des “cimetières” de vélos, véritables monceaux de métal et de pneus laissés à l’abandon. La question écologique d’un tel usage ne peut être éludée. Conscientes de cette défaillance non conforme à leurs modèles, les marques réagissent. Mobike remplace ainsi les rayons de ses roues de vélos par des bâtons et Pony Bikes créé des pneus increvables sans chambre à air. L’argument écologique, s’il doit être tempéré, n’est donc pas mort !

Un besoin d’encadrement est indispensable. En novembre 2018, la ministre des transports, en collaboration étroite avec le ministère de l’écologie, a proposé un projet de 50 articles ayant pour objectif de répondre à quatre grands défis actuels : « le manque de solutions dans de nombreux territoires, qui entretient un sentiment d’assignation à résidence » ; « l’urgence environnementale et climatique, qui appelle à changer nos comportements » ; « les impasses d’une politique d’infrastructures tournée vers les grands projets et non financée depuis des décennies » ; « une révolution de l’innovation et des pratiques, qui constitue une formidable opportunité ». Le 2 avril dernier, la loi d’orientation des mobilités a été lue au Sénat pour une première discussion et sera étudiée à l’Assemblée. En attendant sa promulgation, les villes élaborent des chartes avec les entreprises de free-floating afin d’organiser l’utilisation de l’espace public. Nantes et son agglomération refusent tout accord tant que la loi ne sera pas effective et réagissent avec vigueur aux tentatives d’installation sauvage. La semaine dernière, Bike mobility s’est ainsi vu confisquer les trottinettes qu’il avait mis en libre-service dans les rues de la cité des ducs.

Paris a en revanche fait le choix de passer des accords avec les loueurs afin de réguler leur présence, tout en offrant aux Parisiens et aux touristes l’attractivité de ce nouveau service. La ville se pose néanmoins la question de mettre en place une taxe pour occupation de l’espace public, taxe qui permettrait non seulement de limiter une prolifération sauvage des flottes mais aussi de financer l’éventuel besoin de régulation de la voierie que leur présence engendrera.

Face à cet engouement pour le free floating, les accidents jusque-là marginaux sur ces types de transport ont explosé. 230 personnes ont ainsi été victimes d’accidents liés aux trottinettes électriques en 2016 et 285 en 2017 ! Ce chiffre ne cesse d’augmenter, tout comme la vitesse de ces engins qui vont en moyenne à 25 m/h. Les victimes de ces accrochages sont de plus en plus âgées et ont en moyenne 27 ans et 10 mois. Les assurances ont non seulement ressenti un besoin mais aussi une occasion de développer un nouveau secteur d’activité. Elles sont donc de plus en plus nombreuses à proposer des offres dédiées à ce type de mobilité, faisant bénéficier leurs adhérents, pour une dizaine d’euros par mois, de garanties responsabilité civile ou dommages corporels.

Vient alors la question qui nous anime particulièrement en tant qu’association des professionnels du voyage d’affaires, quid du BtoB ? L’utilisation de ces nouveaux modes de transports s’intègre parfaitement dans les problématiques de préacheminement mais créée des zones “d’ombre” tant dans l’intégration des politiques de voyage que dans la gestion du stress du collaborateur. Une solution digitalisée et en libre-service pourrait donc apparaître comme étant “LA” solution. Mais la conformité de ces applications est loin d’être aboutie et même si les plus grands acteurs du secteur proposent des solutions « business », un travail est encore nécessaire sur ce point. Un « wait and see » apparaît comme la voix du bon sens.

Reste le point sans doute le plus crucial, le plus visible aussi lorsque l’on se déplace aujourd’hui dans une grande ville : le partage de l’espace urbain. Les nouvelles mobilités croisent celles déjà en place et apprendre à partager la voie, à se garer, dans le respect des autres et des usages de chacun, semble bien le défi le plus vaste à relever pour faire de cette mobilité en « free-floating » une mobilité intelligente.

Michel Dieleman,
Président de l’AFTM
 

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