Modèle économique : les TMC sous pression

Une conjonction inédite de circonstances place les TMC dans une situation délicate : jamais leur modèle de revenus n’a semblé si bancal qu’aujourd’hui. 

Le débat fait rage. Et pas seulement qu’en France où le sujet sera largement débattu lors des prochains congrès Manor et Selectour qui se tiendront en novembre. Ces derniers mois, la presse anglo-saxonne a multiplié les articles, parmi lesquels une excellente synthèse de BTN Europe, sur le modèle économique des TMC dont beaucoup d’experts estiment qu’il est arrivé à bout de souffle. 

En cause, un concours de circonstances sans précédent qui, selon le journaliste, « fait des ravages » : 

  • Baisse des incentives GDS, en raison de la montée en charge de NDC.
  • Baisse des revenus fournisseurs comme la SNCF en France, Qantas en Australie, American Airlines aux Etats-Unis rejointe récemment par United Airlines.
  • Fragmentation du contenu qui contraint notamment les TMC à adopter du contenu non GDS, ce qui représente un coût.
  • Augmentation des coûts de main d’œuvre, la pénurie de personnel obligeant les TMC à hausser les salaires afin de se rendre plus attractives.
  • Pression des clients sur le niveau des transaction fee lors des appels d’offres. 
  • Sans compter le taux d’adoption des réservations en ligne qui n’est pas revenu aux niveaux antérieurs à la crise du Covid et qui nécessite donc davantage d’intervention humaine.

Conséquence : les TMC augmentent leurs tarifs ou en introduisent de nouveaux, au grand dam de leurs clients. Un consultant interrogé par BTN raconte : « J’ai étudié de nombreux appels d’offres et c’est parfois de la folie, il peut y avoir jusqu’à 50 lignes pour les frais de transaction par pays, plus 20 autres frais et même davantage pour la mise en œuvre, les transferts de données, le suivi des billets inutilisés… des frais, des frais et encore des frais ! »

Pas étonnant pour Guy Snelgar, directeur des voyages d’affaires d’un réseau d’agences de voyages britanniques : « Dans un modèle où les acheteurs cherchent à atteindre le coût minimum absolu pour chaque type de transaction, cela aboutit inévitablement à une structure tarifaire complexe ». Et d’expliquer : « Si le transaction fee est réduit à portion congrue, alors la suppression d’un incentive GDS ou les coûts supplémentaires engendrés par un traitement manuel d’une modification de la réservation peuvent rendre ce transaction fee insoutenable sans supplément ou augmentation ». 

La fragmentation du contenu change tout

Un avis partagé par beaucoup qui pointent du doigt la pression trop forte des clients sur les TMC. «Certaines entreprises refusent d’accepter qu’il y a un prix à payer pour obtenir les services qu’elles souhaitent » déclare ainsi Margaret Birse, ancienne directrice mondiale des voyages chez Serco. Elle poursuit : « Le coût des frais d’agence reste faible par rapport au coût global des voyages et l’optimisation du programme voyages passe par un équilibre entre le coût et le service ».

La baisse continue des frais de transaction est-elle de la seule responsabilité des clients profitant de la concurrence des TMC ? Pas seulement. Comme l’explique très bien Guy Snelgar dans un autre article de Business Travel News, « les GDS ont créé petit à petit un système incroyablement efficace qui a permis de traiter automatiquement les réservations de manière rapide, précise, cohérente et peu coûteuse. Ce traitement normalisé et rentable fut un facteur déterminant dans la baisse constante des frais de transaction des TMC ». En effet, grâce aux progrès du canal traditionnel GDS, les TMC ont été en mesure de gérer davantage de réservations avec moins de personnel, un phénomène amplifié par l’arrivée des SBT au début des années 2000. 

Mais la fragmentation du contenu et l’avènement de NDC changent la donne. Ces nouveaux canaux de distribution, s’ils permettent aux compagnies aériennes de mieux vendre, commercialiser et fixer le prix de leurs produits, rendent le processus de gestion des voyages beaucoup plus complexe pour les TMC. Il n’existe pas un mais des NDC, autant que de compagnies. Selon Guy Snelgar, « les TMC doivent effectuer un travail considérable pour normaliser tout ça ». Sans compter les énormes défis pour compléter, modifier et traiter les réservations car « NDC fait, encore aujourd’hui, moins de choses que les canaux traditionnels ». 

Frais d’agences : hausse inéluctable ?

Conséquence : les TMC doivent investir davantage dans les systèmes technologiques et la main d’œuvre nécessaire à la gestion de ce contenu diversifié. Pour ce professionnel britannique, « en transférant une partie des coûts de distribution sur les TMC, les compagnies aériennes contraignent ces dernières à augmenter les frais de transaction facturés à leurs clients ».

Jusqu’alors, les revenus des TMC se partageaient équitablement entre fournisseurs et clients selon John Snyder, le Pdg de BCD Travel. Compte tenu de la situation cet équilibre est en train de changer, et ce dernier annonce d’ailleurs clairement la couleur : « Nous devons obtenir plus de revenus des clients ». 

Certains travel managers ne l’entendent pas de cette oreille et témoignent, toujours dans BTN : « Si une TMC fait payer quelque chose qui lui fait défaut, c’est peut-être qu’elle n’a pas fait les choses correctement dans sa feuille de route technologique depuis des années », déclare Ben Park, directeur principal des achats et des voyages chez Parexel. 

Un consultant indépendant, qui souhaite rester anonyme, abonde : « L’ensemble du contenu GDS et non GDS… les acheteurs n’aiment pas cela. Je devrais pouvoir obtenir tout le contenu dont j’ai besoin. Et ce que doivent faire les TMC en back-office pour y arriver, c’est leur problème ».

Transparence : le point d’achoppement

Mais la critique majeure et récurrente des acheteurs concerne la transparence des flux financiers des TMC, notamment des revenus fournisseurs. Ben Park, encore lui, est de ceux-là : « Je veux connaître l’ensemble des flux de revenus générés par mon programme voyages afin de m’aider à évaluer les conflits éventuels mais aussi pour voir s’il y a des opportunités d’économies ». Et de détailler : « Que se passe-t-il si je passe de la compagnie aérienne A à la compagnie B qui m’offre de meilleures conditions mais dont les incentives pour la TMC sont moins intéressants ? Mes frais d’agence devront-ils augmenter ? » 

Martin Warner, désormais consultant après avoir été vice-président exécutif chez CWT, estime que ce sujet de la transparence est la preuve que les TMC n’ont toujours pas réussi à justifier leur valeur ajoutée ni « à donner une image claire et complète de l’ensemble des variables qui ont un impact sur le coût de la gestion des voyages ». Il ajoute : « Alors que les TMC ont été très opaques sur les revenus fournisseurs et les incentives GDS, il est compliqué pour elles de revenir aujourd’hui vers le client et de lui dire : vous savez, ce revenu dont on ne vous a jamais parlé, eh bien on a besoin maintenant que vous le couvriez parce qu’il a disparu ! » Pas simple en effet. Voilà qui promet des débats encore très animés ces prochains mois. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

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