Voyages non gérés : la bataille fait rage

TMC et fournisseurs se livrent une âpre concurrence pour séduire les PME qui se passent d’agences de voyages. L’enjeu : canal direct contre canal indirect.

Paul Abbott, le patron d’Amex GBT, en salive d’avance. S’exprimant début novembre devant un parterre d’investisseurs et d’analystes afin de commenter les résultats financiers de la TMC du troisième trimestre, comme le rapporte l’excellent The Company Dime, il s’enthousiasme : « Les PME représentent la plus grande opportunité de croissance de notre marché ». Il rappelle que 70% des PME dans le monde ne font pas appel à une TMC. 

Le plus gros réseau d’agences de voyages indépendantes britanniques, Advantage Travel Partnership (ATP), indiquait récemment dans Business Travel News que sur les 74% de ses membres qui ont vu le nombre de leurs clients augmenter en 2023, près de la moitié de ces derniers géraient jusqu’à présent leurs voyages en interne, pour des budgets allant jusqu’à 2,5 millions d’€. 

Pourquoi un tel empressement de ces PME à se jeter dans les bras d’une TMC ? « La complexité des voyages pendant le Covid a été un facteur déterminant », avance Guy Snelgar, l’un des responsables d’ATP. La forte inflation qui impose une meilleure maîtrise des coûts ainsi que de nouvelles exigences en matière de durabilité constituent d’autres explications valables. 

Pour les TMC, le marché des PME, plus rentable, est une aubaine alors que les grands comptes n’ont pas retrouvé leurs niveaux de consommation d’avant Covid. Jeff Klee, le patron de l’américain AmTrav, à la fois plateforme et TMC, expliquait récemment lors d’un webinaire relayé par The Company Dime : « Les PME n’étant pas suffisamment grosses pour négocier leurs propres tarifs, l’agence de voyages perçoit de la part des hôteliers de lucratives commissions, alors que les tarifs négociés en direct par les grands comptes ne sont pas soumis à rémunération ». Ces commissions hôtelières représentent ainsi la première source de revenus d’AmTrav, 37% du total, loin devant les fees clients (25%).

Les compagnies aériennes et les chaînes hôtelières ont décidé de ne pas rester les bras croisés. Ce marché attise aussi leurs appétits, et pas qu’un peu ! Le groupe Hilton vient ainsi d’annoncer qu’il lancerait en début d’année 2024 une offre pour les PME réservant sur son site ou sur son application mobile avec des tarifs réduits, des points de fidélité et des outils de gestion des programmes hôtels. L’astuce ? Les entreprises pourront aussi accumuler des points dans le cadre du programme de fidélisation, en plus des points gagnés par les voyageurs.

Pour se justifier, Chris Silcock, directeur commercial de Hilton, a jeté une pierre dans le jardin des TMC, comme le rapportait le site Skift : « Nous pensons que personne ne sert particulièrement bien ce segment à l’heure actuelle ». La chaîne hôtelière compte faire la différence sur la rapidité (« pas de formulaire compliqué, pas de temps d’attente ») et un portail permettra aux entreprises « d’accéder aux données sur les séjours et de savoir où se trouvent leurs employés » afin d’être en ligne avec le devoir de diligence (duty of care). 

Les compagnies aériennes ne sont pas en reste. En Europe, l’allemande Lufthansa a lancé fin novembre avec Navan (ex-TripActions) une plateforme de voyages en ligne pour les PME de France et du Royaume-Uni. Baptisée BusinessToGo, elle permet de réserver auprès de 500 compagnies aériennes, ainsi que des hôtels, des locations de voitures et du ferroviaire. Elle peut également appliquer automatiquement les politiques voyages d’une entreprise, de même que les préférences personnelles du voyageur. 

L’intérêt pour le transporteur allemand ? La plateforme offre un accès aux tarifs NDC de la compagnie, tandis que les entreprises membres du programme PartnerPlusBenefit de Lufthansa peuvent continuer à gagner et à utiliser des points de fidélité. Sans compter l’élargissement potentiel de son portefeuille clients… « Nous avons conçu cette nouvelle plateforme intelligente en collaboration avec Navan afin de répondre à la demande des entreprises qui souhaitent gérer elles-mêmes leurs déplacements de manière efficace », a expliqué Heinrich Lange, directeur des ventes Europe du Nord de la compagnie.

Aux Etats-Unis, United Airlines et American Airlines ne cachent pas non plus leurs ambitions de séduire le voyageur d’affaires en direct. Début novembre, la première a d’ailleurs mis ses tarifs négociés à la disposition des voyageurs via son site web et son application mobile, comme le racontait The Company Dime.

Cette concurrence des fournisseurs menace-t-elle les TMC ? Paul Abott n’y croit pas : « Je ne pense pas que les clients choisiront un seul fournisseur comme source de vérité pour gérer leurs dépenses voyages, ce n’est pas réaliste », tout en reconnaissant que les marges des compagnies aériennes étaient plus élevées en direct qu’en indirect.

Jeff Klee est quant à lui plus mesuré : « Les voyageurs, en particulier les plus jeunes, n’aiment pas réserver dans nos canaux, ils préfèrent l’expérience du fournisseur en direct. Ils n’aiment ni l’écart de contenu, ni le fait qu’il soit plus difficile de modifier son billet. Si nous ne parvenons pas à résoudre ce problème, nous ne serons plus pertinents à l’avenir ».

S’exprimant fin novembre lors d’une grande conférence sur le voyage d’affaires, The Beat Live, le Pdg d’AmTrav a souligné que le segment des voyages gérés ne représentait plus une part aussi importante qu’avant : « Cela nous place dans une situation très dangereuse où les compagnies aériennes sont de plus en plus frustrées par les TMC qui refusent de se moderniser », faisant ainsi allusion à la résistance des agences de voyages à l’égard de NDC. Canal direct ou indirect, la bataille fait rage et elle est encore loin d’avoir livré son verdict. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

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