Le transaction fee fait de la résistance

Le modèle de rémunération des TMC fondé sur le transaction fee, que l’après-Covid devait mettre au placard, reste la norme, et de loin. La seule faute aux clients ?

Il devait disparaître corps et biens. Après avoir étalé toutes ses limites pendant la pandémie et fait plonger dangereusement les TMC, le transaction fee aurait pu (dû ?) laisser la place à un autre modèle de rémunération plus solide pour les agences de voyages et plus juste dans le partage des risques. Il n’en a rien été. Dans des propos rapportés par Business Travel News, John Snyder, le Pdg de BCD Travel, ne cache pas déception et parle de « sa plus grande frustration depuis le début du Covid ». 

Il esquisse même le début d’une autocritique en ajoutant : « J’ai d’énormes regrets que nous n’ayons pas poussé plus fort, nous avons pourtant poussé assez fort mais les clients nous ont refoulé ». L’échec est patent, il reconnait l’incapacité des TMC à convaincre les entreprises d’adopter un autre modèle tel que l’abonnement. « Tout le monde s’y convertit dans sa vie personnelle, Netflix, Amazon…, la tarification par abonnement contrôle le monde mais nous n’arrivons pas à sortir de cette mentalité de la transaction ». 

Interrogé par le journaliste Michael B. Baker, le vice-président en charge des finances de CWT, Brady Jensen, est plus nuancé : « Lors de certains appels d’offres, nous avons parfois constaté un changement, avec des entreprises qui se renseignent sur les modèles autres que le transaction fee ». 

Selon John Snyder, il incombe en partie aux consultants de convaincre les entreprises de la nécessité de changer. Brady Jensen a en effet noté que les appels d’offres qui étaient ouverts à différents modèles de rémunération avaient tendance à être accompagnés sinon dirigés par des consultants. Problème : ces derniers rejettent la faute sur les TMC ! Caroline Strachan, directrice associée de Festive Road, a ainsi déclaré « qu’elle avait demandé aux TMC des prix créatifs lors de chaque appel d’offres lancé depuis le début de la pandémie. La plupart du temps, l’entreprise n’a pas obtenu de réponse à sa demande ».

Les TMC ne seraient donc pas prêtes à changer de modèle ? C’est la thèse défendue par une autre consultante, Bex Deadman : « Elles ont construit tout un système complexe sur la base des modèles commerciaux actuels et certains de leurs fournisseurs sont encore rémunérés à la transaction ». 

Comme l’écrit l’auteur de l’article, « si les modèles non fondés sur la transaction sont logiques sur le papier pour les TMC, leur mise en œuvre effective est un processus plus compliqué ». En clair, pour convaincre leurs clients, les TMC vont devoir changer d’état d’esprit, former en interne et faire preuve d’innovation. Face à des clients confortablement installés dans un système à la transaction et réticents à l’idée d’un plus juste partage des risques, la tâche s’annonce décidément ardue. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

CWT : que vaut son nouvel abonnement ?

La TMC vient de lancer un nouveau modèle de tarification par abonnement après l’avoir expérimenté pendant un an avec des clients pilotes. 

On peut prendre le problème par tous les bouts, la conclusion sera toujours la même : avec un modèle de tarification basé sur les frais de transaction, le risque pèse trop lourdement sur la TMC. Comme l’a illustré le Covid, en cas de perturbation exceptionnelle, les revenus disparaissent et les TMC sont contraintes de licencier rapidement et massivement pour éviter des pertes financières catastrophiques.

Pour mieux répartir le risque, CWT a donc imaginé un abonnement, soit un tarif mensuel qui couvre tous les produits et services fournis par la TMC, en fonction du volume de transaction prévu, comme le rapporte Business Travel News. Ce tarif mensuel peut être révisé à la hausse ou à la baisse si l’entreprise a besoin d’ajouter ou de soustraire des services, ou d’ajuster les prévisions de volume. 

Cité par The Company Dime, Brady Jensen, vice-président finances et responsable de la tarification mondiale de CWT, met en avant la simplification du système : « Ce nouveau modèle de facturation n’émet qu’une seule facture mensuelle simple et complète, au lieu de plusieurs, ce qui facilite considérablement le suivi et la gestion des dépenses ». Autre avantage selon Brady Jensen : « Les clients pourraient faire des économies grâce à des remises sur le volume que l’on ne trouve pas habituellement dans le modèle courant des frais de transaction ». 

Interrogés par The Company Dime, les consultants Will Tate et Andrew Menkes confirment qu’une telle simplification pourrait bien séduire les petites et moyennes entreprises. « Le modèle semble être idéal pour toutes les organisations qui ont des ressources internes limitées pour gérer les voyages et qui sont relativement satisfaites des niveaux de service qu’elles obtiennent ». 

Ils sont en revanche plus réservés pour les grands comptes : « Ce que les clients peuvent gagner en simplification grâce à une approche groupée, ils le perdent en transparence ». Avec d’abord une première interrogation : dès lors qu’il n’y a plus de facturation automatique au centre de coûts du voyageur, comment l’entreprise peut-elle répartir le coût entre les services ? 

Mais surtout, ce sont les revenus fournisseurs qui sont dans leur viseur. Car les TMC tirent de leurs fournisseurs une partie importante de leurs revenus : CWT avait estimé en 2021 que ces derniers représenteraient 40% de ses revenus en 2022. « Si la nouvelle tarification tient compte du coût du service pour le client et des revenus générés par les fournisseurs, alors le modèle d’abonnement pourrait fonctionner à condition bien sûr qu’il y ait transparence ». Mais est-ce le cas ?

C’est un point sensible car dans le système traditionnel à la transaction, certains clients négocient avec la TMC le retour d’une partie ou de la totalité des commissions reçues par cette dernière. C’est le cas notamment quand l’entreprise négocie directement ses contrats avec les fournisseurs aériens notamment.

Brady Jensen a reconnu dans Business Travel News que la nouvelle tarification « ne convient pas parfaitement à tous les clients ». Mais il faut aussi prendre garde à la distinction américaine entre grands comptes et PME qui n’est pas tout à fait la même qu’en Europe et en France. Parmi les entreprises pilotes, on trouve en effet ServiceNow, une société mondiale de logiciels comprenant 19200 salariés (tout de même !), qui par l’intermédiaire de sa directrice voyages s’est dit satisfaite de cette tarification à l’abonnement. 

Il convient aussi de préciser que ce nouveau système n’a aucun caractère obligatoire. CWT le propose et c’est l’entreprise qui décide. Le chemin s’annonce donc encore long pour un changement de modèle économique d’autant que les entreprises n’y semblent pas encore particulièrement disposées. Selon une étude menée par The Beat, une publication du groupe BTN, plus de 80% des acheteurs rémunèrent leur TMC à la transaction. On part de loin. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

TMC : la fin des transaction fee ?

TMC : la fin des transaction fee ?

La crise sanitaire a mis en lumière la fragilité du modèle économique des TMC. Aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, le débat fait rage.
« Aucune TMC n’est conçue pour résister à une baisse de 95% de ses frais de transaction », a déclaré Patrick Linnihan, Pdg de la TMC américaine Gant Travel, dans un très bon article rédigé par Elizabeth West, la rédactrice en chef de BTN. Des réservations en berne et des heures de travail non facturées passées à traiter les annulations et les demandes de remboursement : pour les TMC, l’effet ciseaux est redoutable. L’heure est-elle venue de changer de modèle ? Dans un article paru sur le site Skift, le président de la Business Travel Association, qui regroupe les principales TMC britanniques, confirme « qu’un certain nombre de TMC l’envisagent ». Et ajoute « qu’en s’écartant d’une approche basée sur les frais de transaction, les TMC pourraient donner une meilleure démonstration de leur valeur ajoutée ». Paul Abbott, Pdg d’Amex GBT, est d’accord : « notre modèle économique doit refléter la plus grande complexité de la demande ».
Parmi les pistes évoquées, le modèle de l’abonnement remporte de nombreux suffrages. Jorge Cruz, le vice-président des ventes monde de BCD Travel, en est un fervent partisan : « il permet de créer une plus grande proximité avec le client. Je paie X par mois pour une utilisation illimitée des réservations en ligne, offline, et des services. Attention toutefois, dit-il, à inclure tous les services qui ne sont pas mesurés aujourd’hui dans l’environnement transactionnel ». Mais Patrick Linnihan pointe un risque en cas de crise comme la Covid-19 : « les clients qui ne voyagent plus pourraient revenir vers nous et nous demander d’arrêter de payer le prix de l’abonnement ».
Autre piste envisagée : le retour de la gestion dite du « livre ouvert », popularisée dans les années 90 mais délaissée après la quasi-disparition des commissions aériennes. Dominic Short, Président l’ASTM, représentation suisse de l’AFTM, cité par Skift, président de l’assocation suisse du travel management, en défend le principe : « vous mettez sur la table les différents flux de revenus ainsi que tous les éléments de coûts et tout ce qui reste disponible est partagé, à 60/40 ou quelque chose comme ça ». Selon lui, son mérite est d’être plus axé sur les frais de gestion que sur les frais de transaction.
Chris Lewis, fondateur et Pdg de la société de données Travelogix, plaide pour un modèle mixte avec des « frais par tête de voyageur » ajoutés à des « services payants », mettant l’accent sur la capacité de la TMC à délivrer du conseil et à ne pas être un simple preneur de commandes.
D’autres vont encore plus loin. C’est le cas de John Harvey, fondateur de Globalyse, une société de marketing stratégique spécialisé dans le travel, dans un autre article publié sur Skift : « la situation actuelle offre aux TMC une occasion unique de rompre leur dépendance vis-à-vis des revenus des fournisseurs et de créer une proposition de valeur complètement différente pour leurs clients ». Ash Shravah, directeur général de la TMC JTB Business Travel pousse même un cri du cœur en une de l’excellent The Beat : « Chers GDS, arrêtez de nous payer ! ». Pour lui, le vieux modèle de rémunération des agences de voyages par les GDS est le principal frein à l’innovation des TMC : « les progrès technologiques se sont considérablement ralentis. Un fossé s’est créé qui empêche les agences de voyages de pouvoir offrir le même contenu que celui disponible sur les sites web des compagnies aériennes ». Les TMC, dit-il, ont bu le Kool-Aid pendant des années, utilisant ainsi une expression couramment employée aux Etats-Unis faisant référence à une personne qui croit en une idée dangereuse grâce aux fortes récompenses qu’elle peut générer. Et de conclure : « il faut créer un modèle dans lequel le GDS paie la compagnie aérienne pour son contenu et la TMC paie à son tour le GDS pour la technologie. Tour le monde en profitera, c’est aussi simple que cela ».
Et les entreprises clientes des TMC, sont-elles prêtes à ce changement ? John Harvey en est convaincu : « dans le monde d’après Covid, elles vont demander aux TMC de jouer un rôle plus important dans l’analyse de données, le suivi des voyageurs, le bien-être, la sûreté, la sécurité, la gestion des programmes…, bref une recherche d’assurance de voyages et de services qui vont bien au-delà de l’achat d’un billet ». La conclusion revient à Elizabeth West qui écrit : « la crise a cristallisé les objectifs de la gestion des voyages autour du duty of care, et les acheteurs comprennent clairement qu’il y a un coût associé à l’attention accrue portée à ce domaine ».

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM