Budget hôtels : tension maximale

L’inflation dans l’hôtellerie ne se calme pas vraiment, en Europe surtout, imposant aux acheteurs et aux travel managers de trouver de nouvelles parades.

Savez-vous comment les pros du voyage d’affaires anglo-saxon désignent un appel d’offres, request for proposal (RFP) en anglais ? Ils jouent sur l’acronyme et l’appellent « right f…..g pain », une « p….n de douleur » ! Jamais dans l’histoire récente du business travel la négociation hôtelière n’avait mérité un tel surnom tant la hausse des tarifs a pris des proportions inédites.

Et l’inflation hôtelière ne semble pas devoir se détendre en dépit des prévisions modérées de certains observateurs, jusque-là démenties par les faits. Pour 2024, Amex GBT estime ainsi que les prix des hôtels augmenteront de 11% à Paris, 9,5% à Lyon, 10,8% à Amsterdam, 9,1% à Londres… On est loin de l’apaisement espéré, d’autant que se profile le triplement de la taxe de séjour dans les hôtels de la région parisienne dès le 1er janvier prochain.

Les hôtels profitent-ils de la situation ? Oui et ils ne s’en cachent pas. Cité par The Company Dime dans un excellent article, le pdg de Hilton, Chris Nassetta, déclare : « Nous insistons beaucoup sur les prix parce que nous sommes dans un environnement très inflationniste. Si l’on se place du point de vue de l’optimisation des revenus, continuer à pousser les prix est la bonne stratégie, quitte à entamer nos taux d’occupation ». 

Elie Mahlouf, Pdg de IHG (InterContinental Hotels Group), précise : « Nous avons actuellement la possibilité de modifier la composition de notre clientèle et de choisir des clients privilégiés qui sont prêts à payer des tarifs plus élevés et à rester plus longtemps ». En clair, les voyageurs d’affaires ne sont pas les meilleurs clients pour la rentabilité des hôtels, contrairement à la clientèle loisirs, en plein boom. Sans compter la très bonne santé du MICE qui, selon Tammy Routh, VP ventes monde de Marriott, « vient aussi et très fortement concurrencer le voyage d’affaires individuel ».

Les travel managers sur le qui-vive

Une situation qui ne manque pas de préoccuper les travel managers. Steven Van Overmeiren, directeur des voyages monde du cabinet d’avocats Baker McKenzie, confirme : « D’une manière générale, la pression sur les tarifs augmente, même si elle ne sera pas aussi forte qu’en 2023 ». D’après un récent sondage réalisé par la société américaine Tripbam (qui propose un audit automatisé et permanent des tarifs hôteliers), 56% des 200 acheteurs interrogés s’attendaient à ce que le poste hôtelier soit le plus difficile à négocier au cours des deux prochaines années.

Un exemple de cette tension : des acheteurs et des travel managers se plaignent des réponses à des appels d’offres qui débutent systématiquement par une forte augmentation des tarifs, comme le racontait récemment un article de Business Travel News : « Cela ne montre clairement pas une volonté de partenariat ni de dialogue ». De l’autre côté de la barrière, et dans le même reportage, les hôteliers regrettent que les appels d’offres ne s’appuient pas (ou peu) sur de solides données de volume. 

Alors que faire ? Il y a bien sûr les conseils habituels en de pareilles circonstances : réduire son nombre de fournisseurs, négocier des tarifs fixes dans les hôtels les plus fréquentés par ses voyageurs (sans oublier d’obtenir dans ces établissements des conditions LRA, last room availability, qui permettent de réserver la dernière chambre disponible d’un hôtel au tarif négocié), privilégier les prix dynamiques dans les autres hôtels, consolider les dépenses voyages d’affaires et MICE…

Des nouveaux types de partenariat

Et quoi d’autre ? Face à l’inflation, certaines entreprises commencent à faire un pas de côté et mettent en avant d’autres arguments comme le relate The Company Dime. C’est le cas de Makiko Barrett, directrice des achats voyages de la société Automation Anywhere, qui témoignait lors de la convention annuelle de la GBTA en août dernier : « En ce moment, je ne me concentre pas trop sur les remises éventuelles, j’essaie plutôt de tirer un parti maximum des partenariats avec les hôtels ». 

En clair, une expérience sûre, sécurisée, sans friction et confortable dans un établissement soucieux de l’environnement n’est-elle pas aussi importante, voire davantage, que le tarif pratiqué ? 

Cité par le journaliste, Scott Gillespie, le fameux consultant de tClara, voit ici un changement fondamental dans les approches d’achat voyages : « Il semble que la fonction achat ait désormais la permission d’élargir ses sources de valeur à autre chose que les coûts ». 

T.J Blue, travel manager d’IBM, est d’accord : « Le tarif négocié n’est pas toujours égal au coût final. Les plus grandes opportunités d’économies concernent aujourd’hui les coûts en aval de la conformité de la politique voyages, du comportement voyageurs… qui sont souvent ignorés. Or les frictions du voyage, le bien-être, la durabilité et la production de carbone ont une valeur qui doivent faire partie de la stratégie achat et de la négociation fournisseurs ». 

Voilà qui ouvre en tous cas de nouvelles perspectives pour la gestion de ce budget hôtel sous pression, des pratiques d’ailleurs que l’on voit aussi poindre lors des négociations des dépenses aériennes. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

RSE : la difficile évaluation des hôtels

RSE : la difficile évaluation des hôtels

De plus en plus de travel managers et d’acheteurs demandent des informations sur la durabilité des hôtels mais l’absence de norme internationale complique la donne.

Les groupes hôteliers sont unanimes : le nombre de demandes d’informations sur la durabilité des hôtels émanant d’acheteurs et de travel managers a explosé l’année dernière en pleine pandémie ! C’est en tous cas ce qu’ils ont déclaré aux journalistes de Business Travel News qui viennent de sortir un instructif numéro spécial sur la RSE (Lire ici).

Denise Naguib, vice-présidente de Marriott en charge de la RSE, affirme ainsi qu’elle a reçu une centaine de demandes en 2020 contre une vingtaine en moyenne les années précédentes. Constat identique chez Hilton et InterContinental (IHG). Les questions posées par les entreprises vont de l’empreinte carbone des séjours à la façon dont un hôtel réduit ses déchets alimentaires, en passant par les pratiques sociales de l’hôtelier, notamment en matière de diversité. « Cependant, la plupart des questions se concentrent encore sur le « E » de la RSE » concède Catherine Dolton, vice-présidente en charge de la RSE chez IHG, citée dans l’article. Et d’ajouter : « Les entreprises ne demandent pas nécessairement à leurs voyageurs de séjourner dans des hôtels plus écologiques mais elles veulent encourager ce comportement ».

Denise Naguib précise cependant que « certains acheteurs ont demandé comment signaler dans leurs outils de réservation les hôtels qui ont des certifications ou des données précises sur les émissions de carbone ou la consommation d’eau. Ceux-là vont même jusqu’à faire passer ces hôtels en tête de liste, avant le prix ».

Seulement voilà, distinguer les bons des mauvais élèves restera un casse-tête tant qu’il n’existera pas une norme industrielle définissant réellement ce qu’est un « hôtel vert ». Il existe des dizaines de labels dans le monde, mais aucune harmonisation. « On ne va pas demander aux hôtels de proposer leurs propres évaluations, je ne suis pas sûr de les croire » ajoute avec malice David McDonald, travel manager monde de Hogan Lovells (cabinet international d’avocats). « Nous avons besoin d’une ressource industrielle neutre, un équivalent des certifications ISO qui publierait chaque année un score et un classement ».

En attendant, les entreprises font avec les moyens du bord. Mark Avery, travel manager monde de PwC, demande par exemple aux hôtels s’ils participent au HCMI, un outil permettant de calculer l’empreinte carbone par chambre occupée, et au HWMI, un dispositif mesurant l’utilisation de l’eau dans un hôtel. Mais c’est très imparfait : seuls 25 000 hôtels dans le monde utilisent le HCMI et 18 000 le HWM.

De nombreux organismes travaillent donc à une harmonisation et à une certification mondiale. Le Global Sustainability Tourism Council serait l’un des plus actifs. L’industrie hôtelière collabore par ailleurs avec le Fonds Mondial pour la Nature pour développer une méthodologie standardisée de mesure des déchets.

La pression des entreprises commence à se faire plus forte. Leur nécessité d’atteindre des objectifs internes de durabilité pousse à des voyages plus responsables. Au point d’avoir un impact sur le choix des hôtels qui seront intégrés dans les programmes voyages ? « Oui, mais cela prendra du temps, affirme Mark Avery. D’autant que parfois, nous sommes dans des endroits où nous n’avons pas le choix des hôtels, il faut être réaliste ».

Pour Rebecca Jeffries, travel manager de Toyota North America, la bascule dépendra des voyageurs : « Si le sujet intéresse 10 ou 15% de mes voyageurs, cela ne fera probablement pas une énorme différence dans mon sourcing hôtelier. En revanche, si cela concerne 85% d’entre eux, alors oui, ça le fera ! ».

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM