Direct Travel vise l’Europe

Bientôt une nouvelle TMC en France ? L’ex-fondateur de Concur, qui veut transformer les voyages d’affaires, ne cache pas ses ambitions.

Steve Singh est une légende dans le voyage d’affaires. Il a non seulement révolutionné la gestion des notes de frais en co-fondant Concur, avec son frère et un ami, mais il a réussi l’exploit de vendre cette entreprise, à la croissance rapide certes mais non rentable (!), à SAP en 2014 pour la somme astronomique de 8,3 milliards de US$ dont 900 millions de dettes !  

Une opération qui reste à ce jour la plus importante réalisée par l’éditeur allemand de logiciels et qui avait rapporté le pactole aux trois compères ainsi qu’à un de leurs actionnaires, American Express Cartes, qui a raflé au passage près d’un milliard de US$ ! 

Le prochain Concur ?

Depuis lors, Steve Singh, à la tête d’un fonds de capital-risque, Madrona Ventures, est parti à la recherche du prochain Concur et, comme l’écrit le site Skift, « pense que les voyages d’affaires sont prêts désormais pour les nouvelles technologies et que l’entreprise idoine peut supplanter les historiques. »

Il n’est ni le premier ni le dernier sans doute à vouloir déboulonner les « dinosaures » du secteur et comme le disait un fameux duo comique : « Y en a qui ont essayé… ils ont eu des problèmes. » 

Sauf que Steve Singh n’est pas le premier venu et son rachat avec un groupe d’investisseurs de Direct Travel, une grosse TMC américaine, en dit long sur les ambitions du garçon. « Pour un prix conséquent » a-t-il dit à la presse sans en divulguer le montant. 

On peut en douter. Créée en 2011, Direct Travel est certes une belle TMC qui a réalisé 3,6 milliards de US$ de volume d’affaires en 2022 pour 300 millions de chiffre d’affaires, et qui compterait 4500 clients, principalement des PME parmi quelques grands comptes comme Paypal, aux Etats-Unis et au Royaume-Uni.

Mais le Covid est passé par là alors qu’elle réalisait 5,8 milliards de US$ de volume d’affaires en 2019 et qu’elle annonçait le 15 janvier 2020, soit deux mois avant le déclenchement de la pandémie, sa plus importante opération de croissance externe en mettant le grappin sur Professional Travel, une TMC de près de 450 millions de volume d’affaires. Patatras ! Après une restructuration de sa dette, Direct Travel est alors passée dans les mains de ses prêteurs selon le site The Company Dime.

Une proie de choix

La TMC constituait donc une proie de choix pour un chasseur comme Steve Singh et l’un des derniers étages d’une fusée qu’il construit patiemment depuis 2018. Avec le même groupe de business angels, il a en effet déjà investi dans les startups Spotnana, Troop et Center. Steve Singh est désormais le président exécutif de ces quatre entreprises, et Madrona Ventures en est le principal investisseur. 

Spotnana ? L’œil de l‘AFTM en avait parlé en décembre dernier, il s’agit d’une plateforme de gestion et de réservation d’un genre nouveau, globale, ouverte, basée sur le cloud, qui facilite l’expérience utilisateur. Elle a levé 100 millions de US$ depuis sa création.

Troop ? Ayant levé près de 20 millions de US$, c’est une plateforme MICE qui aide les entreprises à planifier, réserver et gérer ses réunions, « un segment de marché très mal servi » pour Steve Singh. 

Center ? Cette plateforme de gestion des dépenses et de notes de frais a déjà levé 140 millions de US$.

L’objectif ? Selon Skift, « mettre à la disposition des clients de Direct Travel une plateforme qui intègre les technologies et les services de ces quatre entreprises. » Et de préciser : « Chacune d’elles continuera à fonctionner de manière indépendante. »

L’ambition ? D’après les propos de Steve Singh rapportés par Business Travel News : «Nous allons nous développer à la fois en Amérique du Nord et dans d’autres zones géographiques, comme l’Union européenne. » La France, gros marché de l’UE du voyage d’affaires, devrait logiquement entrer dans le spectre. 

Le « voyage parfait »

La vision ? « Le marché attend vraiment une transformation. La réalité est que ce secteur fonctionne avec des piles technologiques héritées, des informations cloisonnées, des expériences discontinues » a-t-il déclaré devant la presse. 

« L’écosystème actuel du voyage d’affaires est simple à résumer, détaille-t-il dans un article passionnant de son blog, les données sont fragmentées. Il y a beaucoup d’inefficacités entre l’acheteur de voyage et le fournisseur de services de voyage. L’expérience est rarement cohérente ou intégrée de manière transparente. Si les données relatives aux clients sont souvent utilisées à des fins de marketing, elles le sont rarement pour offrir une expérience agréable. Les plateformes technologiques sont largement fermées, de sorte que l’innovation d’une entreprise s’ajoute rarement à celle d’une autre entreprise. »

Une vision qui doit aboutir au « voyage parfait » tel qu’il l’avait déjà imaginé du temps de Concur. Reste néanmoins une pile technologique, le dernier étage de la fusée : le contenu hôtelier. « Les systèmes dominants datent de plusieurs décennies et ne permettent pas d’offrir la flexibilité ou la gamme de services nécessaires sur le marché. (…) La personnalisation est inexistante dans l’écosystème hôtelier » cingle-t-il.

Voilà qui promet des investissements à venir et à surveiller de près ! Un épisode qui démontre en tous cas que la consolidation des TMC accélère par à-coups depuis quelques années. Hier, à quelques jours d’intervalle, Amex GBT rachetait Egencia et Navan, Reed & Mackay. Aujourd’hui, GBT met la main sur CWT et presque simultanément Steve Singh sur Direct Travel. Et ce n’est sans doute pas fini. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Amex GBT/CWT : un deal en questions

Le projet de fusion des deux leaders historiques du marché suscite bien des interrogations et réserve encore de nombreuses surprises. 

A qui profite le deal ?

C’est une opération qui bénéficiera d’abord aux actionnaires… des deux sociétés. Rappelons les chiffres : le numéro 1 du secteur rachète le numéro 3 (derrière BCD) pour 570 millions de US$ dont 300 millions de dettes si l’on se base sur les chiffres donnés par CWT lors de la dernière restructuration financière de novembre 2023. 

Amex GBT financera l’opération à hauteur de 430 millions de US$ en émettant de nouvelles actions. Les 140 millions restants seront réglés avec les liquidités dont elle dispose. Une aubaine pour le leader de la distribution des voyages d’affaires : à petit prix, il met la main sur son concurrent historique et son portefeuille de 4000 clients en ne sortant que très peu de cash et en évitant d’emprunter au moment où les taux d’intérêt sont élevés.

Pour les actionnaires de CWT, c’est aussi une bonne affaire. Ces derniers, des fonds d’investissement principalement, se retrouveront à l’issue de la fusion avec 13% du capital d’une société dotée de fondamentaux financiers bien plus solides.

Cerise sur le gâteau : la fusion devrait générer d’ici trois ans 155 millions de US$ de synergies, une bonne perspective pour le cours de l’action. 

Amex GBT sauve-t-elle CWT ?

Dans son article du 21 février dernier, l’excellent site The Company Dime révélait que l’agence de notation S&P Global pointait en décembre que CWT disposait « de liquidités moins qu’insuffisantes », même après l’échange de dettes annoncé en novembre. Elle écrivait alors : « La liquidité reste faible et l’effet de levier est élevé, (…), par conséquent nous considérons que la structure du capital de l’entreprise n’est pas viable. »

En clair, faute de revenus suffisants, une entreprise à fort effet de levier risque non seulement d’accuser des retards de paiement à l’égard de sa dette mais aussi de se trouver dans l’incapacité d’emprunter des fonds supplémentaires pour la payer et assurer sa survie. 

Or, si CWT va mieux (les équipes, françaises notamment, ont réussi le tour de force dans un contexte difficile à retenir de nombreux comptes et à en gagner d’autres), elle va toutefois moins bien que ne l’escomptait le business plan déposé lors de la mise sous Chapter 11 en novembre 2021. 

Celui-ci prévoyait alors pour 2024 un volume d’affaires de 16 milliards de US$ pour un EBITDA (bénéfice d’exploitation) de 253 millions. On en est encore loin si l’on en croit les chiffres donnés par le communiqué de presse annonçant le deal qui évoque pour CWT en 2024 un volume d’affaires de 14 milliards de US$ et un EBITDA de 70 à 80 millions. 

Il y avait donc bien une urgence financière pour CWT, qui explique aussi le faible prix déboursé par Amex GBT (qui avait acheté Egencia, bien moins gros, pour 750 millions de US$ en novembre 2021). Morgann Lesné, associé chez Cambon Partners, spécialiste des fusions-acquisitions, confirmait il y a quelques jours dans un article de BTN que ce prix « mettait en lumière les menaces réelles qui pesaient au-dessus de CWT si la société restait seule ». 

Un rachat offensif ou défensif ?

La question est centrale concernant les grandes TMC. Pour l’ancien patron d’American Airlines devenu consultant, Cory Garner, la réponse ne fait aucun doute. Dans un post Linkedin décapant, il écrit qu’Amex GBT « acquiert une plus grande part d’un gâteau qui se rétrécit. »

Les chiffres semblent lui donner raison. En 2019, Amex GBT seule réalisait un volume d’affaires de 35 milliards de US$, et Egencia de son côté 8,3 milliards. Selon les résultats publiés par la première le 5 mars dernier, les deux réunies ont affiché un VA en 2023 de 28 milliards, soit une baisse de plus de 35%, malgré une inflation record qui a gonflé les volumes de toutes les TMC. 

De son côté, CWT réalisait un VA de 23,1 milliards en 2019 contre une prévision de 14 milliards en 2024, soit une baisse de près de 40%. 

Attention, ces chiffres ne disent rien de la rentabilité de l’activité. Amex GBT, par exemple, a dégagé en 2023 une marge opérationnelle de 17%, soit un bon voire un très bon résultat dans un business de TMC à faible rentabilité.

Indéniablement, depuis le Covid et le boom des visioconférences le gâteau rétrécit… sur le marché des grands comptes, cible naturelle de ces TMC globales, d’où leur offensive à l’égard des PME ces trois dernières années afin de compenser le manque à gagner. 

Scott Gillespie, consultant bien connu de l’œil de l’AFTM, pointe un autre risque dans Business Travel Mag, le changement climatique qui « pourrait accélérer les objectifs de réduction des émissions des entreprises ». Et d’expliquer : « Les volumes de transactions aériennes diminueraient alors considérablement en Europe et en Amérique du Nord. L’ampleur de ce risque apparaîtra plus clairement à mesure que nous nous rapprocherons de 2030. »

Amex GBT achète-t-elle du volume ?

Plus que tout autre marché, les voyages d’affaires constituent un jeu de volume. La taille est le seul moyen de réaliser des économies d’échelle et de dégager une rentabilité dans un secteur à faibles marges. 

Mais on vient de le voir, les volumes ont fortement baissé et le réchauffement climatique fait peser sur l’activité une menace potentielle. 

Compte tenu du modèle économique actuel des TMC (grosso modo 50% de revenus clients via des transaction fees et 50% de revenus fournisseurs par le biais des commissions et des incentives), l’effet ciseaux pourrait être redoutable. D’autant que, comme le répète Cory Garner, les stratégies de distribution des compagnies aériennes et notamment NDC fragilisent une partie des revenus fournisseurs des TMC. 

Oui, Amex GBT achète du volume. Oui, Amex GBT sera, de fait, renforcé dans ses négociations fournisseurs. Mais le paradigme du marché est en train de changer. Ce qui était vrai hier l’est beaucoup moins aujourd’hui. Même en termes de volume, le rachat de CWT apparaît donc plus défensif qu’offensif. 

Quelles implications pour les OBT ?

C’est l’un des points les plus intéressants de cette opération. Amex GBT s’appuie sur des systèmes de réservation en ligne (OBT) propriétaires comme KDS (devenu Neo) et Egencia, qu’elle favorise de plus en plus mais sans exclusive (elle est ainsi le principal revendeur de Concur aux Etats-Unis). Alors que CWT se dit agnostique, revendant l’ensemble des OBT du marché. 

Dans ce contexte, les clients de CWT devront-ils basculer sur KDS et Egencia ? Depuis quelques années, Amex GBT ne se cache plus et souhaite amener ses clients à utiliser ses propres technologies, et réserve par ailleurs les derniers développements de KDS (notamment pour NDC) à ses clients en priorité. 

Comme le notait The Company Dime, Paul Abbott, le Pdg d’Amex GBT, se félicitait lors d’une conférence téléphonique en septembre dernier que le volume des transactions sur ses plateformes propriétaires KDS et Egencia avait augmenté de 13% au troisième trimestre 2023 contre 7% pour l’ensemble des transactions. 

Il faudra aussi observer avec attention la réaction de SAP-Concur dont l’OBT est aux Etats-Unis le leader incontesté, et de loin. Dans le même article de The Company Dime, le journaliste Jay Campbell révélait un scoop : SAP a envisagé d’acheter CWT en début d’année mais a finalement décidé de s’abstenir.

Est-ce reculer pour mieux sauter ? Toujours selon Cory Garner, SAP pourrait considérer l’opération GBT/CWT, et plus largement le développement des OBT propriétaires, comme une menace stratégique à long terme pour sa position sur le marché. Et se pencher à nouveau sur l’éventualité d’un rachat d’une TMC, qui sait ?

Ça change quoi pour les clients ?

A très court terme, rien. Le temps que l’opération financière se fasse et que les autorités de régulation donnent leur aval aux Etats-Unis et en Europe. Mais après, c’est une autre histoire.

La plus grande incertitude concerne les difficultés d’intégration qui promettent de vrais casse-têtes pour fusionner les opérations, les systèmes d’information et les cultures très différentes des deux sociétés. Des complications inévitables qui pourraient provoquer des perturbations pour les clients de GBT et de CWT.

Quant aux clients de CWT qui l’ont choisi précisément pour éviter Amex GBT, comment vont-ils réagir ? Une chose est sûre : les équipes françaises des deux sociétés, qui sortent pour l’une d’une fusion encore à digérer avec Egencia, et pour l’autre d’un Chapter 11 et d’une restructuration douloureuse, vont avoir encore du pain sur la planche… Courage à elles ! 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Voyages non gérés : la bataille fait rage

TMC et fournisseurs se livrent une âpre concurrence pour séduire les PME qui se passent d’agences de voyages. L’enjeu : canal direct contre canal indirect.

Paul Abbott, le patron d’Amex GBT, en salive d’avance. S’exprimant début novembre devant un parterre d’investisseurs et d’analystes afin de commenter les résultats financiers de la TMC du troisième trimestre, comme le rapporte l’excellent The Company Dime, il s’enthousiasme : « Les PME représentent la plus grande opportunité de croissance de notre marché ». Il rappelle que 70% des PME dans le monde ne font pas appel à une TMC. 

Le plus gros réseau d’agences de voyages indépendantes britanniques, Advantage Travel Partnership (ATP), indiquait récemment dans Business Travel News que sur les 74% de ses membres qui ont vu le nombre de leurs clients augmenter en 2023, près de la moitié de ces derniers géraient jusqu’à présent leurs voyages en interne, pour des budgets allant jusqu’à 2,5 millions d’€. 

Pourquoi un tel empressement de ces PME à se jeter dans les bras d’une TMC ? « La complexité des voyages pendant le Covid a été un facteur déterminant », avance Guy Snelgar, l’un des responsables d’ATP. La forte inflation qui impose une meilleure maîtrise des coûts ainsi que de nouvelles exigences en matière de durabilité constituent d’autres explications valables. 

Pour les TMC, le marché des PME, plus rentable, est une aubaine alors que les grands comptes n’ont pas retrouvé leurs niveaux de consommation d’avant Covid. Jeff Klee, le patron de l’américain AmTrav, à la fois plateforme et TMC, expliquait récemment lors d’un webinaire relayé par The Company Dime : « Les PME n’étant pas suffisamment grosses pour négocier leurs propres tarifs, l’agence de voyages perçoit de la part des hôteliers de lucratives commissions, alors que les tarifs négociés en direct par les grands comptes ne sont pas soumis à rémunération ». Ces commissions hôtelières représentent ainsi la première source de revenus d’AmTrav, 37% du total, loin devant les fees clients (25%).

Les compagnies aériennes et les chaînes hôtelières ont décidé de ne pas rester les bras croisés. Ce marché attise aussi leurs appétits, et pas qu’un peu ! Le groupe Hilton vient ainsi d’annoncer qu’il lancerait en début d’année 2024 une offre pour les PME réservant sur son site ou sur son application mobile avec des tarifs réduits, des points de fidélité et des outils de gestion des programmes hôtels. L’astuce ? Les entreprises pourront aussi accumuler des points dans le cadre du programme de fidélisation, en plus des points gagnés par les voyageurs.

Pour se justifier, Chris Silcock, directeur commercial de Hilton, a jeté une pierre dans le jardin des TMC, comme le rapportait le site Skift : « Nous pensons que personne ne sert particulièrement bien ce segment à l’heure actuelle ». La chaîne hôtelière compte faire la différence sur la rapidité (« pas de formulaire compliqué, pas de temps d’attente ») et un portail permettra aux entreprises « d’accéder aux données sur les séjours et de savoir où se trouvent leurs employés » afin d’être en ligne avec le devoir de diligence (duty of care). 

Les compagnies aériennes ne sont pas en reste. En Europe, l’allemande Lufthansa a lancé fin novembre avec Navan (ex-TripActions) une plateforme de voyages en ligne pour les PME de France et du Royaume-Uni. Baptisée BusinessToGo, elle permet de réserver auprès de 500 compagnies aériennes, ainsi que des hôtels, des locations de voitures et du ferroviaire. Elle peut également appliquer automatiquement les politiques voyages d’une entreprise, de même que les préférences personnelles du voyageur. 

L’intérêt pour le transporteur allemand ? La plateforme offre un accès aux tarifs NDC de la compagnie, tandis que les entreprises membres du programme PartnerPlusBenefit de Lufthansa peuvent continuer à gagner et à utiliser des points de fidélité. Sans compter l’élargissement potentiel de son portefeuille clients… « Nous avons conçu cette nouvelle plateforme intelligente en collaboration avec Navan afin de répondre à la demande des entreprises qui souhaitent gérer elles-mêmes leurs déplacements de manière efficace », a expliqué Heinrich Lange, directeur des ventes Europe du Nord de la compagnie.

Aux Etats-Unis, United Airlines et American Airlines ne cachent pas non plus leurs ambitions de séduire le voyageur d’affaires en direct. Début novembre, la première a d’ailleurs mis ses tarifs négociés à la disposition des voyageurs via son site web et son application mobile, comme le racontait The Company Dime.

Cette concurrence des fournisseurs menace-t-elle les TMC ? Paul Abott n’y croit pas : « Je ne pense pas que les clients choisiront un seul fournisseur comme source de vérité pour gérer leurs dépenses voyages, ce n’est pas réaliste », tout en reconnaissant que les marges des compagnies aériennes étaient plus élevées en direct qu’en indirect.

Jeff Klee est quant à lui plus mesuré : « Les voyageurs, en particulier les plus jeunes, n’aiment pas réserver dans nos canaux, ils préfèrent l’expérience du fournisseur en direct. Ils n’aiment ni l’écart de contenu, ni le fait qu’il soit plus difficile de modifier son billet. Si nous ne parvenons pas à résoudre ce problème, nous ne serons plus pertinents à l’avenir ».

S’exprimant fin novembre lors d’une grande conférence sur le voyage d’affaires, The Beat Live, le Pdg d’AmTrav a souligné que le segment des voyages gérés ne représentait plus une part aussi importante qu’avant : « Cela nous place dans une situation très dangereuse où les compagnies aériennes sont de plus en plus frustrées par les TMC qui refusent de se moderniser », faisant ainsi allusion à la résistance des agences de voyages à l’égard de NDC. Canal direct ou indirect, la bataille fait rage et elle est encore loin d’avoir livré son verdict. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Aérien : la concurrence du loisir confirmée

Les touristes aisés veulent s’offrir des classes affaires ? Les compagnies aériennes leur facilitent grandement la vie. 

Le mois dernier, l’Œil de l’AFTM s’était penché sur la forte concurrence du segment loisir, notamment dans l’hôtellerie et l’aérien. Concurrence qui génère pour les corpos une inflation des tarifs, une pénurie de disponibilités et, selon certains travel managers, un manque de considération de la part des fournisseurs. 

Une étude réalisée par Amadeus et relayée par Business Travel Mag montre que les compagnies aériennes ont trouvé la parade pour accompagner sinon susciter l’intérêt des touristes à voler à l’avant de l’avion. Elles proposent de plus en plus des tarifs en classe affaires « dégroupés », plus abordables et plus accessibles. 

Amadeus indique que la tendance a été lancée par Emirates en 2019 lorsqu’elle a mis sur le marché des billets en classe affaires sans accès aux salons, avec un choix de sièges restreint et sans possibilité de surclassement. 

Qatar Airways a suivi avec un tarif pour lequel les passagers doivent payer un supplément pour accéder au salon, changer de date ou d’itinéraire, tout en gagnant moins de miles. Finnair et Zipair (Japon) ont suivi en 2021, rejointes par Air France/KLM qui a introduit cette année des tarifs Business Class Light sur ses vols long-courriers.

Cette tendance devrait se poursuivre en 2024, le marché des loisirs ne montrant pas réellement de signes d’essoufflement. Bien que les tarifs aériens devraient enfin se calmer, comme le prédisent conjointement Amex GBT et BCD Travel, le sourcing aérien restera donc compliqué pour les entreprises d’autant que les capacités ne retrouveront pas tout à fait leurs niveaux de 2019.

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Budget hôtels : tension maximale

L’inflation dans l’hôtellerie ne se calme pas vraiment, en Europe surtout, imposant aux acheteurs et aux travel managers de trouver de nouvelles parades.

Savez-vous comment les pros du voyage d’affaires anglo-saxon désignent un appel d’offres, request for proposal (RFP) en anglais ? Ils jouent sur l’acronyme et l’appellent « right f…..g pain », une « p….n de douleur » ! Jamais dans l’histoire récente du business travel la négociation hôtelière n’avait mérité un tel surnom tant la hausse des tarifs a pris des proportions inédites.

Et l’inflation hôtelière ne semble pas devoir se détendre en dépit des prévisions modérées de certains observateurs, jusque-là démenties par les faits. Pour 2024, Amex GBT estime ainsi que les prix des hôtels augmenteront de 11% à Paris, 9,5% à Lyon, 10,8% à Amsterdam, 9,1% à Londres… On est loin de l’apaisement espéré, d’autant que se profile le triplement de la taxe de séjour dans les hôtels de la région parisienne dès le 1er janvier prochain.

Les hôtels profitent-ils de la situation ? Oui et ils ne s’en cachent pas. Cité par The Company Dime dans un excellent article, le pdg de Hilton, Chris Nassetta, déclare : « Nous insistons beaucoup sur les prix parce que nous sommes dans un environnement très inflationniste. Si l’on se place du point de vue de l’optimisation des revenus, continuer à pousser les prix est la bonne stratégie, quitte à entamer nos taux d’occupation ». 

Elie Mahlouf, Pdg de IHG (InterContinental Hotels Group), précise : « Nous avons actuellement la possibilité de modifier la composition de notre clientèle et de choisir des clients privilégiés qui sont prêts à payer des tarifs plus élevés et à rester plus longtemps ». En clair, les voyageurs d’affaires ne sont pas les meilleurs clients pour la rentabilité des hôtels, contrairement à la clientèle loisirs, en plein boom. Sans compter la très bonne santé du MICE qui, selon Tammy Routh, VP ventes monde de Marriott, « vient aussi et très fortement concurrencer le voyage d’affaires individuel ».

Les travel managers sur le qui-vive

Une situation qui ne manque pas de préoccuper les travel managers. Steven Van Overmeiren, directeur des voyages monde du cabinet d’avocats Baker McKenzie, confirme : « D’une manière générale, la pression sur les tarifs augmente, même si elle ne sera pas aussi forte qu’en 2023 ». D’après un récent sondage réalisé par la société américaine Tripbam (qui propose un audit automatisé et permanent des tarifs hôteliers), 56% des 200 acheteurs interrogés s’attendaient à ce que le poste hôtelier soit le plus difficile à négocier au cours des deux prochaines années.

Un exemple de cette tension : des acheteurs et des travel managers se plaignent des réponses à des appels d’offres qui débutent systématiquement par une forte augmentation des tarifs, comme le racontait récemment un article de Business Travel News : « Cela ne montre clairement pas une volonté de partenariat ni de dialogue ». De l’autre côté de la barrière, et dans le même reportage, les hôteliers regrettent que les appels d’offres ne s’appuient pas (ou peu) sur de solides données de volume. 

Alors que faire ? Il y a bien sûr les conseils habituels en de pareilles circonstances : réduire son nombre de fournisseurs, négocier des tarifs fixes dans les hôtels les plus fréquentés par ses voyageurs (sans oublier d’obtenir dans ces établissements des conditions LRA, last room availability, qui permettent de réserver la dernière chambre disponible d’un hôtel au tarif négocié), privilégier les prix dynamiques dans les autres hôtels, consolider les dépenses voyages d’affaires et MICE…

Des nouveaux types de partenariat

Et quoi d’autre ? Face à l’inflation, certaines entreprises commencent à faire un pas de côté et mettent en avant d’autres arguments comme le relate The Company Dime. C’est le cas de Makiko Barrett, directrice des achats voyages de la société Automation Anywhere, qui témoignait lors de la convention annuelle de la GBTA en août dernier : « En ce moment, je ne me concentre pas trop sur les remises éventuelles, j’essaie plutôt de tirer un parti maximum des partenariats avec les hôtels ». 

En clair, une expérience sûre, sécurisée, sans friction et confortable dans un établissement soucieux de l’environnement n’est-elle pas aussi importante, voire davantage, que le tarif pratiqué ? 

Cité par le journaliste, Scott Gillespie, le fameux consultant de tClara, voit ici un changement fondamental dans les approches d’achat voyages : « Il semble que la fonction achat ait désormais la permission d’élargir ses sources de valeur à autre chose que les coûts ». 

T.J Blue, travel manager d’IBM, est d’accord : « Le tarif négocié n’est pas toujours égal au coût final. Les plus grandes opportunités d’économies concernent aujourd’hui les coûts en aval de la conformité de la politique voyages, du comportement voyageurs… qui sont souvent ignorés. Or les frictions du voyage, le bien-être, la durabilité et la production de carbone ont une valeur qui doivent faire partie de la stratégie achat et de la négociation fournisseurs ». 

Voilà qui ouvre en tous cas de nouvelles perspectives pour la gestion de ce budget hôtel sous pression, des pratiques d’ailleurs que l’on voit aussi poindre lors des négociations des dépenses aériennes. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Navan, le voyageur, rien que le voyageur ?

TripActions s’appelle désormais Navan, une marque grand public destinée à accélérer le développement de la TMC avec le soutien du voyageur. Au détriment du travel manager ?

L’argument est un peu déroutant. Souhaitant justifier le changement de nom de TripActions et son accès dorénavant ouvert à tous les voyageurs et non plus aux seuls employés des entreprises déjà clientes, Zahir Abdelouhab, responsable de la société en France, explique dans deplacementpros.com : « L’idée est que si on a 100 personnes travaillant pour une même entreprise qui utilisent notre service à titre personnel, on puisse aller voir cette entreprise pour le lui signaler ».

Difficile pourtant d’imaginer un voyageur d’affaires lambda, qui n’a jamais utilisé Navan, se rendre sur la plateforme pour réserver ses vacances plutôt que de s’adresser aux Expedia, Booking et autres mega-agences en ligne qui ont l’antériorité, le savoir-faire et la légitimité sur le créneau des loisirs. 

La vérité est sans doute ailleurs. En adoptant une marque grand public et en s’ouvrant à tous (il suffira juste de donner une adresse courriel professionnelle lors de l’inscription), Navan veut en réalité appliquer une recette qui a parfois fait ses preuves dans le monde des solutions BtoB et qui a été expérimentée avec un certain succès par une entreprise comme Expensify. Depuis sa création en 2008, ce spécialiste américain de la gestion de note de frais aurait accueilli plus de 10 millions de membres, traité et automatisé plus de 1,1 milliard de transactions de dépenses sur sa plateforme.

L’idée est de s’adresser directement aux collaborateurs de l’entreprise, et plus seulement aux décideurs. Aux Etats-Unis, cette stratégie est appelée « modèle économique ascendant » (bottom-up business model). Après s’être inscrits gratuitement pour effectuer leur note de frais et avoir constaté les avantages qu’ils en retirent, les salariés défendent la plateforme Expensify en interne et peuvent convaincre les décideurs de l’adopter à l’échelle de l’entreprise. En résumé, un bon vieux marketing du bouche-à-oreille qui s’appuie sur les nouvelles techniques de viralité, numériques principalement. 

Navan veut faire comme Expensify, viser désormais un large public, les voyageurs d’affaires, et plus uniquement les travel managers et les acheteurs. Le terrain de jeu idéal ? Les PME évidemment. Une très large majorité d’entre elles ne gèrent pas leurs voyages via une TMC et n’ont pas les ressources internes pour le faire. Amex GBT estimait avant le Covid ce marché mondial « non géré » à 675 milliards de $ contre 270 milliards pour le marché traité par les TMC. Une manne énorme. 

Pour séduire ce large public, Navan souhaite donc s’appuyer sur un nouveau nom, plus « mainstream » comme disent les Américains, en capitalisant sur son point fort : l’expérience utilisateur, qu’elle aspire à améliorer en fusionnant toutes ses solutions en une seule super application. Car même ses contempteurs les plus sévères le concèdent, son outil est bon, voire très bon. Dans un article écrit au vitriol paru dans The Company Dime, le journaliste Jay Campbell donne la parole à des acheteurs et des travel managers très critiques envers l’ex-TripActions. Mais l’un d’entre eux reconnait : « leur outil est vraiment agréable à utiliser (…). Pour 90% de mes réservations qui ne nécessitent pas d’assistance humaine, c’est génial ». Pour un autre acheteur, « il est sans aucun doute meilleur que tous les autres outils existants ».

L’inscription gratuite de tout voyageur, même si son entreprise n’est pas cliente de Navan, risque toutefois de compliquer la vie de certains travel managers. En effet, un collaborateur d’une société dont le budget voyages est géré par n’importe quelle autre TMC que Navan pourra donc s’inscrire sur la plateforme et réserver des prestations hors politique voyages. Cela ne se fera pas sans poser des problèmes de remboursement au voyageur et, surtout, les grandes entreprises ne pourront pas accepter bien longtemps un process parallèle de notes de frais sans respect de la politique voyages. Mais c’est aussi, pour Navan, une façon de passer outre les travel managers et leur forcer la main. Et comme me le disait un patron de TMC, non sans ironie : « Navan va draguer des voyageurs qui sont obligés de passer par une autre TMC pour qu’ils essaient de pousser la plateforme à la place de leur dinosaure ».

Plus généralement, cette nouvelle orientation stratégique en direction du voyageur révèle une forme de défiance de Navan à l’égard des travel managers et des comptes « gérés ». La société californienne ne s’en cache même pas dans le communiqué qu’elle a envoyé pour annoncer son nouveau nom. Dès les premières lignes, elle explique que « la grande majorité des sociétés obligent aujourd’hui leurs équipes à utiliser des outils qui génèrent de la frustration, les poussant à trouver des alternatives ou à bouder les solutions mises à leur disposition ». Contacté, un travel manager qui a souhaité garder l’anonymat, s’étonne : « En clair, Navan s’adresse aux entreprises, ses clients potentiels, en leur disant qu’elles n’ont rien compris aux besoins internes de leurs employés ».

Navan pêcherait-elle un peu par arrogance ? C’est ce que lui reprochent les acheteurs interrogés par The Company Dime. L’un d’entre eux témoigne : « On a souvent l’impression de ne pas être considéré comme un client et quand on essaie d’expliquer les choses, on est traité de ringard ». Un autre acheteur confirme : « Ils ne nous écoutent pas, ils pensent que le rôle d’un travel manager est celui d’un assistant de direction ». 

Navan a les défauts de ses qualités : elle est avant tout une entreprise de tech, et même de fintech, et se pense comme telle, avant d’être une TMC. D’ailleurs, rares sont ses employés qui ont déjà travaillé dans une TMC. D’où un certain hiatus sur la notion même de service que peut rendre la TMC. Un client de Navan, toujours dans The Company Dime, affirme : « C’est le 1% de nos réservations qui nécessitent l’aide d’un agent de voyages qui nous rend fou ». Un autre acheteur ajoute : « Si Navan résolvait ces problèmes de service, elle pourrait être une très bonne plateforme ». 

Dans une excellente interview d’Ariel Cohen, le co-fondateur de Navan, Elizabeth West, la rédactrice en chef de Business Travel News, pointe aussi du doigt cette faiblesse des fonctions supports et le manque d’expertise interne sur le voyage d’affaires. Ariel Cohen répond par une pirouette, difficilement vérifiable : « Nous avons 9000 clients, et nous en ajoutons 300 par mois, (…) partent-ils ou restent-ils ? La majorité d’entre eux restent avec nous pendant des années ». 

Une chose est sûre : avec ce nouveau nom et cet accès ouvert à tous, Navan écrit un nouvel épisode de la bataille des PME que nous avions pressentie et décrite en décembre 2021 dans l’Oeil de l’AFTM. Comme un fait exprès, American Express GBT vient d’annoncer qu’elle se réorganise autour de deux axes, les grands comptes et comptes multinationaux d’une part, les PME d’autre part. Amex GBT dont Ariel Cohen annonce la mort prochaine, à l’instar de Concur, dans ce podcast spécialisé sur le capital risque paru le 8 février dernier (écouter à partir de la 29e mn). Vous avez dit arrogant ? Pensez donc !

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

TripActions : méga jackpot en perspective

La prochaine introduction en bourse de la TMC va rapporter gros, voire très gros, à ses investisseurs historiques. Une étape capitale dans la vie de la jeune TMC créée en 2015.

TripActions saute le pas. Déjà dans les tuyaux à plusieurs reprises par le passé, l’introduction en bourse de la TMC devrait intervenir au cours du deuxième trimestre 2023. Le site américain Business Insider a en effet révélé le 29 septembre, confirmant ainsi une indiscrétion de Bloomberg début août, que TripActions avait déposé une demande confidentielle d’introduction en bourse auprès de la SEC, l’autorité américaine des marchés financiers.

Pourquoi confidentielle ? Cette procédure, autorisée par le gendarme américain de la bourse et utilisée en leur temps par Twitter ou Airbnb, permet à une entreprise de ne dévoiler ses informations financières et sa stratégie que 15 jours avant le début de son « roadshow » (la tournée de présentation aux investisseurs qui précède l’entrée en bourse) ou 15 jours avant la date présumée à laquelle la SEC doit donner son autorisation à entrer en Bourse. 

En clair, l’entreprise peut garder des informations sensibles et secrètes pendant une période plus longue, contraignant ses concurrents à patienter avant d’obtenir des détails précieux sur son activité. Mais surtout elle n’est pas obligée de fixer une date d’introduction gravée dans le marbre, elle peut la reporter et même l’annuler. Dans le cas d’une introduction en bourse « classique », une fois la date fixée, il est difficile d’y mettre un terme.

Une flexibilité qui a aujourd’hui son importance car les marchés financiers sont à la peine. Les indices boursiers américains ont plongé avec les sombres prévisions économiques : le Dow Jones est en recul de 20% depuis le 1er janvier alors que le Nasdaq a chuté de 32% sur la même période. Et les introductions se font très rares après avoir battu des records en 2021. Dans ces conditions, TripActions ira-t-elle jusqu’au bout ?

L’entreprise américano-israélienne (ses deux fondateurs, Ariel Cohen et Ilan Twig sont israéliens, mais vivent dans la Silicon Valley) basée à Palo Alto en Californie a de solides arguments à faire valoir. En lançant début 2020 sa propre solution de paiement baptisée « Liquid », la TMC a initié un modèle unique sur le marché basé sur l’intégration totale du voyage, des dépenses et du paiement.

En accélérant la mise en œuvre de « Liquid » après le début de la pandémie, la TMC a montré sa capacité de réaction face à la crise en s’adaptant très vite aux besoins de numérisation des entreprises et des voyageurs (même si dans le même temps, le licenciement sans ménagement de 300 collaborateurs via Zoom a suscité la polémique et l’indignation aux Etats-Unis). 

Ce faisant, TripActions n’était plus seulement une spécialiste du voyage d’affaires, elle devenait aussi une fintech, une startup qui utilise la technologie pour repenser un service financier. Et ça, les investisseurs adorent. Ils aiment cette aptitude à favoriser de grandes avancées en matière d’usage : « En quelques clics, je réserve, je paie, je gère mes dépenses sans la contrainte du remboursement ». 

Et les clients dans tout ça ? Apprécient-ils autant la proposition de valeur que les investisseurs ? TripActions reste discrète sur ses chiffres et ces derniers sont évidemment invérifiables. En février, après le rachat de la TMC allemande Comtravo, l’entreprise annonçait un volume d’affaires de 6 milliards de US$ pour 7500 clients. 

Depuis, TripActions a mis la main sur la suédoise Resia et le marché du voyage d’affaires s’est redressé. Le cap des 7 milliards de US$ aurait donc été franchi, et même allègrement. Dans une année normale pré-Covid, en 2019, cela aurait déjà placé la TMC au 5e rang mondial, à égalité avec FCM, derrière Amex GBT-Egencia (39 Mds), BCD (28 Mds), CWT (23 Mds) et Corporate Travel Management (8 Mds). Dans une année post-Covid comme 2022, nul doute que l’écart avec les concurrents s’est resserré.

Pour autant que ces chiffres soient confirmés, TripActions semble donc en train de changer de dimension. Une information, passée inaperçue dans la torpeur d’un mois d’août étouffant, en témoigne. La TMC a remporté le budget voyages mondial d’Unilever, l’entreprise anglo-néerlandaise aux 148 000 salariés répartis dans 77 pays. Il y a fort à parier qu’elle soit devenue du même coup le plus grand compte géré par la TMC. Et, comme un double symbole, elle l’a chipé à Amex GBT qui l’avait récupéré dans sa corbeille en 2018 en rachetant HRG qui gérait les déplacements d’Unilever depuis de nombreuses années. Bref, une sacrée prise de guerre. 

Toutefois, dans ce flux de bonnes nouvelles, certaines interrogations demeurent. TripActions est en croissance mais combien coûte cette croissance ? Aucun chiffre n’a été communiqué mais la rentabilité n’est pas pour l’instant la préoccupation d’Ariel Cohen, le co-fondateur et véritable patron de la TMC. Il l’a souvent répété, il veut devenir « l’Amazon du voyage d’affaires », quitte à en imiter fidèlement la trajectoire ? Rappelons que la plateforme de Jeff Bezos avait perdu beaucoup d’argent lors de ses huit premières années avec des ratios parfois vertigineux (un chiffre d’affaires à peine deux fois plus élevé que ses pertes en 2002 !). Mais, compte tenu de la conjoncture, on peut imaginer que TripActions ne prendrait pas le risque d’une introduction si elle perdait beaucoup d’argent, les marchés la sanctionneraient aussitôt. 

TripActions doit par ailleurs encore convaincre un marché réputé conservateur en plus d’être complexe. Changer de TMC, avec tout ce que cela implique, n’est pas toujours chose aisée. D’autant que les TMC historiques ne sont pas restées inactives et investissent, elles aussi, dans la technologie. Et puis les voyageurs continuent de plébisciter le contact physique ou téléphonique en dépit des solutions digitales à leur disposition. Enfin, et c’est une litote, l’Europe (et plus encore le marché français) n’est pas les Etats-Unis. Tenir compte des cultures et des particularismes locaux n’est pas la moindre des difficultés.

En attendant, cette prochaine introduction en bourse va faire des heureux. Son timing indique en effet que les actionnaires actuels en sont clairement à l’initiative. Il est légitime au bout de sept ans (pour les plus anciens d’entre eux) que ces derniers souhaitent être « liquides », c’est-à-dire récupérer leur argent avec une belle plus-value à la clé. 

TripActions vise une valorisation lors de son introduction à 12 milliards de US$ après avoir levé 1,3 milliard de US$ depuis sa création. Par comparaison, en décembre 2021, Amex GBT avait annoncé une valorisation à 5,3 milliards de US$ pour son entrée en bourse. Pourquoi une telle différence alors qu’Amex GBT est assurément plus gros que TripActions et affichait une rentabilité enviable avant le Covid ? Sa croissance rapide ne suffit pas à l’expliquer et c’est là où Ariel Cohen et Ilan Twig sont des malins. En devenant à la fois TMC et fintech, les deux compères vendent au marché financier le volume du voyage avec le multiple de la tech. Là où, ce n’est qu’un exemple, une entreprise du voyage pourrait être valorisée 5 fois son Ebitda (bénéfice d’exploitation), une société de la tech le serait 10 ou 15 fois son Ebitda.

La perspective d’un méga-giga jackpot se rapproche donc pour les investisseurs de la première heure, Oren Zeev, Lightspeed Venture Partners et Dovey Frances Group11 (et sans doute les deux co-fondateurs) qui ont mis des billes en 2015 pour, alors, une valorisation de 10 millions de US$. Sept ans plus tard, avec une valorisation à 12 milliards de US$, ils pourraient ainsi récupérer 1200 fois leur mise ! Des niveaux très rarement vus. Pour les autres capitaux risqueurs, plus récents, cela resterait aussi une excellente (doux euphémisme) opération. A condition bien sûr que l’entreprise ne soit pas surévaluée et ne rate pas, à l’instar d’un Facebook en 2012, son entrée en bourse. 

D’ailleurs, cette dernière se fera-t-elle par une simple cession de titres ou par une augmentation de capital permettant de lever à nouveau de l’argent frais ? Tant que le dossier reste confidentiel, nous n’en saurons rien. Une chose est sûre : c’est une nouvelle vie qui débutera pour la TMC, avec de nouveaux actionnaires, et des résultats financiers qui seront scrutés à la loupe, sous la forte pression des marchés. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Les limites de l’automatisation

Automatiser l’ensemble du process de réservation, jusqu’à l’annulation et l’échange de billets : facile à dire, beaucoup plus difficile à faire. 

C’est l’un des sujets phares du moment. Avec le Covid et le chaos dans le transport aérien, les échanges et annulations de billets d’avion par les voyageurs d’affaires se sont multipliés. Avant la pandémie, cela concernait 1 billet sur 5, aujourd’hui cela toucherait entre le tiers et la moitié des transactions, rapporte dans un excellent article le site The Company Dime

Encore peu ou pas automatisés, l’échange et l’annulation de billets nécessitent la plupart du temps une intervention humaine. Or la pénurie de personnel qui affecte les TMC crée des situations intenables et dégrade sérieusement la qualité du service. Que faire ? La solution passe par l’automatisation mais ce n’est pas si simple. « Il y a aujourd’hui très peu d’outils numériques qui sont efficaces pour permettre des changements de voyages et d’itinéraires » déclarait récemment Nick Vournakis, vice-président exécutif de CWT, au site Skift. La TMC vient toutefois d’annoncer que le voyageur peut désormais, sur sa nouvelle application myCWT et sur les canaux web, modifier ou annuler un trajet en étant informé des modalités comme le surcoût. Si l’information se vérifie (il convient d’abord de tester l’outil), CWT aurait pris un petit temps d’avance sur ses principaux concurrents. 

Comme l’explique en effet David Reimer, vice-président d’Amex GBT pour les clients internationaux et directeur général pour les Amériques, « chaque compagnie aérienne gère son inventaire avec des processus légèrement différents et si vous souhaiter l’automatiser, vous devez probablement le faire un par un, par transporteur. On va y arriver bientôt mais jamais totalement, sans doute à 70-80%, car une partie devra toujours se régler offline, au téléphone ». 

Jean-Christophe Taunay-Bucalo, le directeur commercial de la TMC TravelPerk, confirme : « Nous avons automatisé la plupart des annulations avec l’ensemble des fournisseurs, compagnies aériennes, ferroviaires et même hôtelières. En revanche, les processus de modification et d’échange sont beaucoup plus compliqués en raison des différents types d’inventaire et des connexions nécessaires, mais nous devrions être à plus de 50% d’automatisation d’ici la fin de l’année ». 

John Sturino, vice-président des produits de la division Egencia d’Amex GBT, pointe également les règles commerciales des compagnies aériennes qui changent tout le temps. 

Pour David Reimer, l’explication est aussi plus globale, « avec un nombre de variables dans les voyages et une infrastructure technologique énorme qui posent de vrais défis ». Avant d’ajouter : « L’intelligence artificielle peut faire beaucoup pour nous aider ». Et de conclure : « En tant qu’industrie, nous devons faire mieux, c’est certain ». 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Comment travailler avec un OBT

Le travel manager de la banque UBS partage ses conseils et ses réflexions sur la relation qu’il entretient avec l’outil de réservation en ligne.

C’est le genre de bonhomme à qui on ne la fait pas. Kevin Carr est le travel manager de la banque suisse UBS depuis 2004 et c’est lui qui a mis en place la réservation en ligne (OBT/SBT) dans l’entreprise il y a près de quinze ans. Lorsqu’il témoigne dans les colonnes de Business Travel News, on prête donc une oreille attentive, à tout le moins. 

Son expérience est intéressante à plus d’un titre. Il y a cinq ans, il décide de consolider la réservation en ligne : « Auparavant nous avions des outils différents dans chaque région du monde, or il y a beaucoup d’avantages à avoir des normes de services mondiales ». Le choix de la banque se porte sur Cytric d’Amadeus alors que son GDS préférentiel s’appelle Travelport et que sa TMC se nomme American Express GBT, qui travaille généralement avec Sabre ! Un œcuménisme parfaitement assumé : « Nous avons toujours essayé d’avoir les meilleurs sur le marché pour ce service et de les forcer à travailler ensemble ». 

Ne faudrait-il pas mieux, cependant, trouver un partenariat qui offre d’emblée une meilleure connexion, quitte à faire certains compromis ou accepter moins de contenu ? Pas pour Kevin Carr : « Il faut donner la priorité à votre stratégie, et donc influencer le fournisseur pour qu’il s’y adapte ». 

Il concède néanmoins que certains OBT et certaines TMC travaillent mieux ensemble bien que la plupart de ces dernières affirment travailler avec tous les outils du marché. « Cette idée du fournisseur agnostique est un peu absurde, explique-t-il, en fin de compte nous savons tous qu’il y a toujours des complications et des fonctionnalités perdues si on n’utilise pas le bon GDS avec la bonne TMC et le bon OBT ». Mais pour lui, c’est un risque à prendre.

Deuxième conseil : impliquer les utilisateurs. Régulièrement, UBS demande à ces derniers, après chaque voyage, de noter l’expérience de réservation. « Nous avons également constitué un conseil spécifique qui rassemble les différentes divisions de l’entreprise dont les directions achat et voyages. Ses réunions nous permettent d’aborder tous les sujets liés au programme voyages et au budget voyages, dont la réservation en ligne ». 

Kevin Carr reconnait néanmoins que l’accès au bon contenu et l’expérience utilisateur sont difficiles à équilibrer : « Nous avons deux objectifs stratégiques contradictoires : d’une part, nous voulons offrir du choix, avec autant de contenu possible, et d’autre part nous souhaitons personnaliser en adaptant l’offre aux besoins du voyageur ». L’éternelle et si complexe équation du voyage d’affaires ! 

Le travel manager d’UBS tente aussi d’imaginer l’OBT du futur dont les évolutions seront, selon lui, d’abord dictées par le verdissement du voyage d’affaires. Un OBT qui pourrait ainsi demander aux utilisateurs pourquoi ils voyagent, s’il est nécessaire de se déplacer ou s’ils devraient plutôt organiser une réunion virtuelle. Si le déplacement s’avère indispensable, l’outil pourrait alors contrôler le choix du vol en orientant vers une compagnie aérienne émettant moins de CO2. 

En conclusion, Kevin Carr mise beaucoup sur la digitalisation et l’innovation pour faire progresser l’outil et faciliter le travail du travel manager : « Essayer de faire travailler ensemble l’OBT et la TMC reste très difficile (…), nous avons toujours les poids lourds du secteur qui veulent que vous suiviez leur feuille de route ». Mais, selon lui, cela pourrait changer rapidement : l’avènement de technologies plus ouvertes devrait en effet dégager de nouvelles perspectives.

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Tarifs aériens : une comparaison impossible ?

Pour le voyageur et le travel manager, comparer les prix des billets d’avion est devenu plus difficile que jamais.

Des choux et des carottes. Voilà ce que tentent de comparer les voyageurs d’affaires et les travel managers quand ils essaient aujourd’hui de réserver un billet d’avion. La faute aux fameux tarifs dégroupés que les compagnies aériennes ont généralisé ces dernières années. 

En ôtant les options du forfait de base, elles ont fait coup double : non seulement elles tirent des revenus conséquents sur la vente de produits et services annexes (les fameux ancillaries) mais elles peuvent aussi se différencier plus efficacement. Sans compter que le dégroupage leur permet d’afficher un tarif de base moins élevé et de concurrencer ainsi plus facilement les compagnies low cost. 

Le client en recueille un bénéfice, il peut personnaliser le produit ou les services en fonction de ses préférences personnelles. Mais il y a un revers à la médaille, et pas le moindre : il lui est de plus en plus difficile de comprendre quels produits et services sont inclus ou non dans son billet ! 

Les structures tarifaires des compagnies aériennes se complexifient à l’envi et cela ne va pas s’arranger avec l’avènement de la norme NDC (censée faciliter les ancillaries) et de la tarification dynamique. Pour les entreprises et leurs directions voyages, la capacité à comparer ces offres compliquées devient, de facto, un enjeu d’avenir crucial.

Les GDS y travaillent, révèle le site The Company Dime. Et pour cause. Depuis qu’ils se sont vu imposer la norme NDC par les compagnies aériennes, brisant ainsi leur monopole et les privant de revenus substantiels (dans le système traditionnel, les transporteurs versaient un fee aux GDS pour chaque réservation), les GDS sont un peu moins fringants. Voilà peut-être une occasion pour eux de revenir dans le jeu. 

« Actuellement, nous explorons les moyens d’aider les travel managers à évaluer facilement l’avantage total des offres de voyages composées par les compagnies aériennes » confirme Jay Richmond, directeur IT d’Amadeus aux Etats-Unis. Un projet pilote est ainsi en test jusqu’à la fin de l’année. 

De son côté, Travelport affirme que « sa nouvelle plateforme permet aux agents de voyages de comparer plus facilement et avec une meilleure granularité les offres des compagnies aériennes ». 

Quant à Sabre, il est en train d’investir avec Amex GBT dans la prochaine génération de technologies pour le voyage d’affaires, conformément à l’accord aux termes duquel le premier est devenu actionnaire du deuxième. Un porte-parole de GBT a confirmé à The Company Dime que « l’affichage des offres sans confusion serait une priorité ». 

En attendant, Cory Garner, co-président de T2RL, une boite américaine de techno, livre un très bon conseil aux travel managers et aux acheteurs. « Ces derniers devraient définir à l’avance les forfaits qu’ils souhaitent pour leurs voyageurs et, par le biais d’un appel d’offres, sélectionner la compagnie qui proposera la meilleure offre ». Et de poursuivre : « Il incombe en définitive aux compagnies aériennes partenaires de répondre à cette demande et de mettre le produit sur le marché, de sorte qu’il n’y a pas vraiment besoin de comparaison ». CQFD.

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM