Voyage d’affaires : une rupture historique

Le décrochage du voyage d’affaires par rapport à la croissance économique est inédit. Faut-il s’en inquiéter ?

Il y a des exceptions dont on se passerait bien. Toujours très attendu, le baromètre d’Amex GBT présenté le 13 avril dernier pointait des déplacements professionnels qui atteignaient péniblement 50% du niveau de 2019 en janvier 2022 sur le marché français alors que les entreprises avaient retrouvé rapidement (en douze mois) leurs performances d’avant-Covid. Les Echos titraient d’ailleurs ce même jour : « Le voyage d’affaires à la traîne de la reprise ». 

C’est en effet une première historique. Le marché des déplacements professionnels est traditionnellement ce que les économistes appellent un marché à croissance lente. C’est-à-dire qu’il suit assez fidèlement les courbes du PIB, à la hausse comme à la baisse, sachant que depuis plus de vingt ans le PIB dépasse rarement les deux points de croissance. Ce décrochage brutal interpelle donc sur la vérité de la reprise qui est à l’œuvre. Entre les dithyrambes un peu suspects et les prophéties qui s’espèrent auto-réalisatrices, difficile de s’y retrouver. 

Quelle est la réalité ? S’il reprend de la vigueur, le transport aérien est encore loin de ses niveaux de 2019. Selon le baromètre Amex GBT, il les retrouvera courant 2023 pour le domestique et le moyen-courrier et pas avant 2024 pour le long-courrier. Les dernières statistiques d’Eurocontrol, l’organisation de gestion du trafic aérien, montrent que le trafic aérien européen a regagné 80% des niveaux d’avant-Covid mais la croissance est principalement tirée par les compagnies low cost comme Ryanair et Wizz Air. 

Attention toutefois : ce chiffre fait référence au nombre de vols mais n’est en rien une indication sur les taux de remplissage des avions. Une chose est sûre : si les touristes reviennent à bord des avions, les voyageurs d’affaires sont encore un peu discrets, comme me le confirmait il y a quelques jours un porte-parole d’Air France. 

On nous dit que les déplacements professionnels domestiques sont repartis en flèche. Là aussi, il convient d’être mesuré. Début avril, dans un échange avec la presse rapporté par le site de La Tribune, Christophe Fanichet, Pdg de SNCF Voyageurs, dit sa préoccupation sur le niveau de trafic des voyageurs professionnels qui s’est effondré de 50 à 60% en début d’année. 

« Si le dirigeant prévient depuis plusieurs mois que ce segment ne retrouverait pas son niveau d’antan avant plusieurs années, avec une baisse potentiellement structurelle, il ne s’attendait pas à une telle chute » écrit La Tribune. Joint au téléphone le 26 avril, un cadre de la SNCF affirme : « C’est beaucoup mieux aujourd’hui mais on est encore à moins 20% ». 

Pas de quoi pavoiser mais les autres grands marchés ne sont pas au mieux non plus. Un bon indicateur : lors d’une réunion début avril avec des investisseurs à la bourse de New York en vue de son introduction prochaine, Amex GBT a révélé par la voix de son Pdg, Paul Abott, que ses transactions globales avaient repris au cours de la semaine précédant le 2 avril à 61% de ce qu’elles étaient à la même période en 2019. C’est ce que raconte l’excellent site Skift qui précise qu’Amex GBT a néanmoins relevé ses perspectives pour les mois à venir.

Faut-il s’alarmer de cette reprise poussive ? Pas tant que toutes les contraintes sanitaires ne seront levées, notamment en Asie. En revanche, méfions-nous des prévisions, optimistes ou pessimistes, à deux ans ou trois ans du marché. La vérité est que personne, sans doute, n’en sait rien tant les environnements sont mouvants. « La prédiction est un art difficile surtout lorsqu’elle concerne l’avenir » disait Pierre Dac. Une chose est sûre : on voit mal comment le télétravail, la réduction de l’empreinte carbone des entreprises, la pression sur les coûts et le boom de la visioconférence n’auraient pas d’impact sur le volume des voyages. 

La bonne nouvelle, si l’on en croit les journaux britanniques et allemands qui font des comparaisons, c’est que le marché français des déplacements professionnels se révèle être aujourd’hui l’un des plus dynamiques d’Europe. Il devrait, selon Yorick Charveriat, directeur général France d’Amex GBT, retrouver 70% de son activité de 2019 à la fin de l’année. « On se satisfait de peu » me disait récemment le patron d’une grande TMC. L’ironie en forme de paradoxe est que, là encore, le marché du voyage d’affaires décroche par rapport au PIB, mais cette fois dans le sens opposé puisqu’il reprend quelques couleurs au moment où la croissance française marque le pas. Mais en même temps, il partait de tellement loin…

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Nouveaux tarifs SNCF : et les pros ?

Les annonces de la refonte tarifaire de la compagnie ferroviaire laissent les clients affaires sur leur faim.

François Delétraz, journaliste au Figaro et spécialiste du transport ferroviaire, n’a pas la langue dans sa poche. La réforme tarifaire de la SNCF, annoncée le 1er juin, lui donne encore l’occasion d’exercer sa plume acerbe. C’est pour lui un vrai changement de stratégie que vient d’opérer la SNCF car désormais, « pour les différents dirigeants de la compagnie, le principal concurrent du train n’est pas l’avion, mais la voiture ». Voilà pourquoi la compagnie ferroviaire concentre ses attentions sur la clientèle loisirs et non sur les voyageurs d’affaires. 

Et en effet, la refonte tarifaire ne s’adresse qu’au segment loisirs. Avec une mesure principale : la fusion des quatre anciennes cartes Avantage en une seule qui permet de bénéficier d’un prix plafond : 39 euros jusqu’à 1h30 de trajet, 59 euros de 1h30 à 3h et 79 euros au-delà. 

Seule petite concession faite aux « pros » : le nouvel abonnement « télétravail » qui représenterait une baisse de 40% par rapport au forfait annuel existant. 

« La SNCF est toujours aussi timide pour les voyageurs pros, écrit François Delétraz, elle ne dit rien sur les tarifs de la carte Liberté qui avait remplacé la carte Fréquence avec, au passage, une belle augmentation des prix : 10% en première et jusqu’à 27% en seconde. Elle ne dit rien non plus sur une mesure qu’elle a supprimée alors qu’elle était plébiscitée par les voyageurs professionnels : la possibilité de monter dans les trains « encadrant » (avant et après l’horaire réservé) sans formalité ».

Des annonces devraient être faites en septembre, notamment pour le programme Grands voyageurs. Il faudra les scruter avec attention car il y a un risque de voir le fossé se creuser très (trop ?) nettement entre les tarifs loisirs et les tarifs affaires. D’autant qu’un nouveau paramètre vient rebattre les cartes : l’arrivée et le déploiement de Transavia sur le domestique pourrait, dans bien des cas, rendre l’avion plus compétitif que le train. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Pollution : l’aviation d’affaires dans le collimateur

Après avoir profité de la crise du Covid, les jets privés se retrouvent au centre des critiques pour leur impact sur l’environnement. 

Les chiffres sont sans appel. Les avions privés génèrent de 5 à 14 fois plus de pollution par passager embarqué que les avions de ligne, et 50 fois plus qu’un train, selon les estimations de l’ONG Transport & Environnement relayées par le site 20minutes.fr le 29 mai dernier. Les auteurs de l’étude ont calculé qu’une heure de vol privé peut relâcher dans l’atmosphère deux tonnes de dioxyde de carbone, soit presque un quart de ce qu’émet en moyenne un citoyen européen en une année entière.

Selon l’ONG, la pollution due à ces appareils a augmenté de 31% en Europe entre 2005 et 2019, soit une hausse plus importante que celle constatée dans l’aviation commerciale. 

La France est particulièrement visée : avec le Royaume-Uni, les deux pays concentrent 40% des émissions polluantes des jets privés en Europe. Pas étonnant : la France arrive en première place européenne du plus grand nombre de mouvements d’avions privés, avec plus de 150 000 mouvements comptabilisés. Un vol sur dix décollant de France est effectué en jet privé. Par ailleurs, l’aéroport de Paris-Le Bourget est le plus fréquenté d’Europe concernant les vols d’affaires, avec 180 000 passagers par an et plus de 53 000 mouvements en 2019. 

L’aviation d’affaires a fait preuve de davantage de résilience que l’aviation commerciale pendant le Covid, elle était souvent devenue la seule solution opérationnelle pour les voyages d’affaires. Résultat : le niveau d’activité est déjà revenu à 85% du niveau de 2019 et les 100% devraient être atteints cet été.

Pour finir, l’ONG affirme que la moitié des voyages effectués en jets privés s’effectuaient sur des distances inférieures à 500 kilomètres, « des trajets courts qui peuvent la plupart du temps être remplacés par d’autres modes de transport ». Les défenseurs de l’environnement vont avoir du pain sur la planche : les spécialistes de l’aviation d’affaires prévoient un âge d’or pour l’aviation d’affaires après le Covid !

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Qu’attendent les acheteurs des TMC ?

La demande d’investissements dans le contenu et le service se fait de plus en plus pressante de la part des entreprises.

Ce n’est pas le panel le plus large de l’histoire mais les 114 acheteurs qui ont répondu à l’enquête ont été triés sur le volet. Et l’auteur de l’étude, Paul Tilstone, un des deux fondateurs du cabinet Festive Road, est un gage de sérieux. Au final, le résultat sur les attentes des acheteurs à l’égard des TMC est passionnant. Il a été relayé à la fois par le site The Company Dime et par Business Travel News

Premier enseignement :

le contenu est plus important que jamais. 91% des 114 acheteurs de voyages ont déclaré souhaiter que leur TMC fournisse davantage de contenu aérien via une API de distribution. Mais pas seulement : ils sont aussi respectivement 88% et 79% à solliciter plus de contenu hôtelier et de transports terrestres. De tels chiffres suggèrent en creux que les acheteurs considèrent que les canaux existants des TMC sont insuffisants. Ont-ils accès à toutes les options ? Ils en doutent fortement. C’est en tous cas l’un des points d’attention centraux sur lequel les TMC doivent se pencher, avec de lourds investissements à la clé. 

Deuxième enseignement :

92 % des acheteurs souhaitent que les TMC fournissent un service amélioré et en temps réel pendant les voyages. La période entre le moment où la réservation est faite et celui où le voyageur rentre chez lui est un vrai territoire d’opportunités pour la TMC, bien au-delà de l’acte de réservation.

Troisième enseignement :

89% des personnes interrogées recherchent des services de RSE auprès de leur TMC. 

Mais la question peut-être la plus pertinente a été posée à la fin de l’enquête : « Quelle est la probabilité pour votre entreprise de reconsidérer la TMC comme votre partenaire principal pour la distribution de contenu et les services de réservation ? » Pour les deux tiers des personnes interrogées, « la TMC est toujours notre partenaire principal aux côtés de notre OBT, et cela ne changera pas ». Ce qui signifie qu’un tiers des acheteurs envisage d’autres options, d’autres partenaires, en raison des progrès technologiques. Et ce n’est pas rien ! Il peut s’agir d’un outil de réservation en ligne ou de l’utilisation de sa propre interface utilisateur avec l’appui de la TMC. 

Le fait qu’un tiers des acheteurs regarde ailleurs, au-delà de la TMC, doit être un signal d’alerte pour les agences de voyages selon Paul Tilstone. En clair : elles doivent investir ou, à terme, se voir exclure du marché. Mais, ajoute-t-il, c’est facile à dire alors qu’elles ont subi pendant plus d’un an un fort impact financier et une pression intense sur leurs ressources humaines. Reste une évidence : la demande est là, et si les TMC ne comblent pas le besoin, il y aura toujours quelqu’un d’autre pour s’en occuper. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Google Starline : tueur de voyages d’affaires

Le géant californien vient de dévoiler son projet de cabine de visioconférence. Bluffant !

« Bientôt des visioconférences plus immersives que jamais ? », s’interrogeait il y a quelques jours L’Usine Digitale  comme l’ensemble de la presse geek du monde entier. Google vient en effet de divulguer son projet Starline, une technologie de chat vidéo permettant à deux interlocuteurs distants de communiquer sous forme d’hologrammes 3D. 

« Imaginez que vous regardez par une sorte de fenêtre magique, et qu’à travers cette fenêtre, vous voyez une autre personne, grandeur nature et en trois dimensions. Vous pouvez lui parler naturellement, faire des gestes et établir un contact visuel », détaille Clay Bavor, en charge de la réalité augmentée chez Google et cité par L’Usine Digitale.

Le résultat est juste dingue, plus vrai que nature. Avec la cabine Starline, il est possible de présenter un objet à l’interlocuteur et de voir exactement où se pose son regard. Comme s’il était en face de vous. Les utilisateurs eux-mêmes apparaissent en taille réelle, avec un effet de volume, de profondeur et d’ombre ultra-réaliste. 

Le journaliste précise que « Google n’a pas donné plus de détails sur ce projet, comme le coût du dispositif ou la feuille de route de son développement. Il a toutefois indiqué prévoir un déploiement test auprès d’entreprises partenaires plus tard cette année ». Un aperçu du futur du télétravail et un souci supplémentaire pour les professionnels du voyage d’affaires…

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Les TMC moyennes en voie de disparition ?

La consolidation des TMC pourrait se faire au détriment des agences de voyages de taille moyenne. 

Les TMC moyennes vont-elles faire les frais du mouvement de concentration actuellement à l’œuvre ? C’est l’hypothèse soulevée par Business Travel News dans un excellent article paru le 18 mai dernier

Le journaliste Adam Perrotta part du postulat que la consolidation des TMC n’est pas nouvelle en soi, dans un marché depuis longtemps fragmenté. Ce qui est inédit en revanche, c’est la double pression exercée à la fois par le Covid qui étrangle les revenus de nombreuses TMC et par la demande des entreprises qui nécessite de lourds investissements dans les plateformes et la technologie. Or, de nombreux patrons de ces TMC moyennes, souvent proches de la retraite, ne sont pas prêts à s’engager dans de tels investissements. 

Bob Sweeney, Pdg d’Innovative Travel Acquisitions, qui a servi d’entremetteur à de nombreuses opérations de rachat de TMC, prévoit « beaucoup de transactions au cours des deux ou trois prochaines années ». Et il prévient : « Pour aller de l’avant dans le nouveau monde, il faut être soit minuscule, soit énorme. Je ne pense pas que vous puissiez être entre les deux ». Le segment intermédiaire ayant désormais des exigences proches des grands comptes, « le milieu de gamme est en train de disparaître sous nos yeux », affirme Bob Sweeney. 

Pour satisfaire cette nouvelle demande, l’avenir des TMC passe par la désintermédiation des outils de réservation en ligne tiers (les OBT ou SBT) au profit de la réservation via leurs propres canaux, en particulier leurs applications mobiles, selon Will Tate, consultant chez Goldspring qui ajoute même : « c’est une priorité essentielle pour les TMC à court terme ». Et d’expliquer que cela leur permettra d’éviter de payer des frais de réservation à des OBT tiers tout en offrant un meilleur contrôle sur l’expérience de réservation de leurs clients. 

« Une mauvaise expérience avec un OBT est souvent attribuée, à tort, à la TMC, poursuit Will Tate, et les TMC ont cédé le contrôle de la clientèle et la gestion des coûts aux OBT sans pouvoir vraiment influer sur l’un ou l’autre ». La réservation à partir de leur propre canal et application mobile éliminerait tous ces inconvénients tout en créant pour les TMC « une source de revenus supplémentaire afin de compenser la baisse des revenus fournisseurs provoquée par la pandémie ». CQFD. Quelles sont les TMC moyennes capables de faire de tels investissements ? Rappelons à toutes fins utiles que les rachats d’Egencia par Amex GBT puis de Reed & Mackay par TripActions concernaient des acteurs dotés tous les quatre de leurs propres outils de réservations.

A l’aune de ces éléments se pose la question de l’avenir des TMC françaises moyennes. Solidement ancrées le plus souvent en région, elles ne sont pas si nombreuses. On les retrouve en général au sein des réseaux Selectour, Manor et Tourcom. Dans quel état financier vont-elles sortir de cette crise ? Sont-elles aujourd’hui des proies pour d’éventuels prédateurs ? Difficile à évaluer mais il ne faut pas les enterrer trop vite : comme toutes les PME, elles ont sans doute profité de l’extrême générosité de l’Etat. Selon l’analyse du bilan financier des PME réalisé par l’Ordre des experts-comptables reprise par Les Echos, non seulement la situation financière des PME est aujourd’hui « beaucoup moins catastrophique que prévu » mais leur bénéfice a même augmenté de 2% en 2020 par rapport à 2019 alors que leur chiffre d’affaires chutait de 6,6%. La raison : des aides d’Etat qui ont « parfois compensé au-delà de la perte, d’autant plus qu’elles ne sont pas imposables ». Les chiffres les plus étonnants : les restaurateurs ont vu en 2020 leur chiffre d’affaires chuter de près de 34% pour un résultat net moyen… en hausse de 6,6% ! L’exception française, toujours. On dit merci qui ?

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Le télétravail, un nouveau marché pour le voyage d’affaires

Le travail à distance est en train d’initier de nouveaux comportements aux effets multiples sur les déplacements professionnels.

Une lame de fond. Encore marginal avant la pandémie, le télétravail s’est imposé en quelques mois auprès de millions de salariés. Selon une étude réalisée pour Les Echos, 50% des actifs dont le métier permet le travail à distance veulent rester en télétravail 1 à 2 jours par semaine et 31% de 3 à 5 jours par semaine ! Dans une interview à l’Obs, la ministre du Travail, Elisabeth Borne, affirme même que « les entreprises vont réduire (dans un futur proche) la taille de leurs bureaux de 30% à 50% ».

Certaines entreprises ont déjà entériné le changement. Jack Dorsey, le Pdg de Twitter, a informé ses employés qu’ils pourraient continuer à travailler à domicile « pour toujours » raconte le site The Company Dime. Idem pour Mark Zuckerberg, le Pdg de Facebook. De son côté, la banque JP Morgan a annoncé la mise en place d’un modèle de rotation pour ses 60000 collaborateurs. Quant à SAP, ses 102 000 salariés viennent d’apprendre qu’ils auront le choix, travailler à domicile, dans les locaux de l’entreprise ou les deux. 

Cette révolution du lieu de travail soulève quelques grandes questions pour les travel managers, surtout ceux du secteur des services bien évidemment. Pour Business Travel News Europe, la principale est celle-ci : le trajet d’un salarié entre son domicile et le site de l’entreprise peut-il désormais être considéré comme un voyage d’affaires et non plus comme un trajet quotidien ? La réponse à cette question n’est pas sans implications financières, juridiques ou managériales d’autant que, le télétravail se généralisant, les entreprises vont être amenées à embaucher des talents de moins en moins proches du lieu de travail. 

S’il se raréfie, qui va prendre en charge le trajet entre le domicile et le travail ? L’entreprise ou le salarié ? « Certaines sociétés disent qu’elles utiliseront une partie des économies réalisées sur l’immobilier pour payer les déplacements au bureau afin de montrer qu’elles sont un bon employeur », explique Raj Sachdave, directeur du cabinet de conseils Black Box Partnerships. Il va même plus loin en affirmant que si l’on considère que le trajet domicile-travail est désormais un déplacement professionnel, il doit faire partie du programme de gestion des voyages avec tout ce qui en découle comme le duty of care et la durabilité. 

Certains fournisseurs du voyage commencent d’ailleurs à s’adapter à ce changement, telle la SNCF qui propose depuis quelques jours une formule d’abonnement « télétravail » qui représenterait selon les calculs du transporteur une baisse de 40% par rapport au forfait annuel antérieur. 

Sous couvert d’anonymat, un travel manager interrogé par BTN Europe voit néanmoins dans cette évolution un vrai danger : « Si vous faites la navette entre votre domicile et le bureau, vous êtes plus enclin à aller voir un client. En revanche, quand vous ne faites plus ce trajet, le risque est de moins ressentir le besoin de se déplacer pour un voyage d’affaires. Ou si vous le faites, c’est que le motif est très significatif ». 

Dans une version plus optimiste, d’autres considèrent au contraire que le télétravail va favoriser une nouvelle forme de voyages d’affaires. En effet, ces télétravailleurs vont avoir besoin à un moment de se rencontrer pour faire avancer des projets communs, pour se former… Ainsi Dropbox, la société spécialiste du cloud, qui ne jure plus que par le travail à distance, raconte The Company Dime

N’ayant jamais enregistré le moindre dollar de bénéfice, elle chasse les économies, « et espère des améliorations financières significatives en sous-louant certains de ses bureaux et en embauchant dans des endroits à moindre coût ». En contrepartie, elle encourage et finance des réunions trimestrielles d’équipes ayant lieu dans l’un des quatre principaux centres de collaboration qui ont remplacé les bureaux de l’entreprise, ou dans des tiers lieux. Cela signifie un budget transport, un budget hôtel etc… Ce qui fait dire à Katie Romanko, la travel manager de Dropbox : « Le voyage est devenu la pièce maîtresse pour maintenir notre connexion humaine et notre culture d’entreprise ». 

L’attitude de Dropbox, extrême et très « américaine » (ce n’est pas un jugement de valeur), est à méditer. Elle fait écho aux déclarations récentes de Brian Chesky, le Pdg d’Airbnb. Très durement touchée par la pandémie, l’entreprise a encore enregistré une perte nette abyssale de 1,2 milliard de US$ au cours du premier trimestre. Brian Chesky s’est épanché sur la situation du secteur, affirmant que les voyages d’affaires ne seront plus comme avant et qu’un nouveau type de déplacement professionnel pourrait émerger. 

« Il me semble tout à fait intuitif qu’à mesure que les entreprises offrent plus de flexibilité, davantage de personnes vont vivre dans le monde entier, mais elles ne voudront pas toutes vivre perpétuellement à distance », a-t-il expliqué. « Elles devront rendre visite à l’entreprise, et je pense donc que nous allons commencer à voir des séjours plus longs dans les villes ». Brian Chesky a d’ailleurs précisé qu’en 2021, sur les marchés urbains, 24% des réservations d’Airbnb étaient de plus de 28 jours contre 14% en 2019.

Décidément, la pandémie rend les voyages d’affaires post-Covid beaucoup plus compliqués qu’ils ne l’étaient auparavant. Une opportunité supplémentaire pour les travel managers de voir leur champ d’action élargi. 

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

Consolidation des TMC : les 6 enseignements

Consolidation des TMC : les 6 enseignements

L’accélération de la concentration des TMC est remarquable en tous points, assez inédite par certains aspects, et en dit long sur l’avenir du secteur.

  • Les chiffres ? Du très lourd

Les sommes en jeu donnent le tournis. American Express GBT va mettre la main sur Egencia via une prise de participation d’Expedia (maison-mère d’Egencia) dans GBT de 14% pour un montant de 750 millions de US$. Une opération qui valorise Amex GBT à 5,4 milliards de US$. Le volume d’affaires de GBT en 2019 était de 35 milliards de US$, celui d’Egencia de 8,3 milliards de US$. En clair, le numéro 1 mondial absorbe le numéro 4 ou 5 selon les classements. Rien que ça.

Quelques heures après cette annonce tonitruante, l’américain TripActions, fondé en 2015, révèle avoir racheté la TMC britannique Reed & Mackay, créée en 1962, pour un montant (non officiel) supérieur à 250 millions de US$. Reed & Mackay avait réalisé en 2019 un volume d’affaires de près de 590 millions de livres sterling, soit près de 830 millions de US$. Le nouvel ensemble va gérer un volume de 5 milliards de US$ et revendique 5000 entreprises clientes. Rappelons qu’après plusieurs levées de fonds, dont une récente de 155 millions de US$, TripActions est valorisée à 5 milliards de US$, soit presqu’autant… qu’Amex GBT !

  • Est-ce une course à la taille critique ?

Certes, ces deux opérations apportent du volume aux acheteurs mais on passe à côté de l’essentiel si on s’arrête à ça. Elles les renforcent surtout dans des domaines où ils sont absents. Amex GBT met enfin un pied sur le segment du mid-market online, convoité depuis longtemps sans grand succès. De son côté, TripActions s’offre une TMC réputée pour ses services à haute valeur ajoutée. Comme le résumait finalement assez bien un observateur dans Business Travel News Europe (Lire ici), « Amex GBT, entreprise de services traditionnels, ajoute une expertise technologique alors qu’au contraire TripActions, entreprise technologique de la Silicon Valley, s’enrichit d’un service offline ».

D’autre part, TripActions avait encore des difficultés à séduire des comptes multinationaux bien que les récents contrats signés avec Aecom (un bureau d’études et de conseil en ingénierie) et Springer Nature (société d’édition germano-britannique) aient démontré des progrès. La présence dans plus de 20 pays de Reed & Mackay devrait donc l’aider à asseoir une légitimité internationale. Pour information, Heineken, qui opère dans 70 pays, vient d’annoncer avoir choisi TripActions pour gérer ses 150 millions d’euros de budget voyages (Lire ici).

En somme, et c’est un fait assez remarquable : bien qu’elles étaient fragilisées par la pandémie, comme l’ensemble des TMC, Egencia et Reed & Mackay n’étaient pas moribondes pour autant. Cette consolidation s’inscrit bien dans une stratégie offensive et non strictement défensive comme le serait une simple addition de volume. Il ne s’agit pas d’être plus gros mais d’être plus fort avant tout. La pandémie a accéléré les mutations du business travel, une partie des déplacements des grandes entreprises notamment étant amenée à disparaître pour des raisons principalement écologiques. Les TMC ne trouveront donc des relais de croissance qu’en chipant des comptes aux confrères, certes, mais aussi et surtout en proposant de nouveaux services, avec la meilleure technologie, et en allant conquérir des budgets voyages encore non intermédiés. Donc du côté des PME où le potentiel reste important. C’est aussi à cet aune qu’il convient de lire ces deux transactions.

  • Faut-il attendre d’autres opérations de ce type ?

Assurément et ce n’est qu’un début ! Entre les TMC laminées par la crise du Covid, devenues des proies faciles, et les TMC qui veulent anticiper le voyage d’affaires post-Covid, la consolidation a de beaux jours devant elle. Mark Williams, partenaire au sein du fonds d’investissement Inflexion qui a vendu Reed & Mackay à TripActions, ne dit pas autre chose dans une interview à BTN Europe (Lire ici) : « Je pense qu’il y a deux types d’opportunités désormais. Les TMC qui doivent se consolider parce qu’elles ne sont pas vraiment viables et qui doivent être regroupées rapidement et vendues. (…) Les petits joueurs sont clairement la cible et valent moins cher qu’avant la crise. Et puis il y a le genre d’accords que nous avons vus cette semaine par le biais duquel les TMC ajoutent ou renforcent un élément manquant. Ces opérations ne seront pas bon marché mais elles seront plus rentables à long terme ».

Comme un fait exprès, quelques jours avant ces deux rachats mastodontes, TravelPerk, fondée aussi en 2015 et basée à Barcelone, et concurrent affiché de TripActions, a annoncé avoir levé 160 millions de US$ pour financer de nouvelles acquisitions ! Une effervescence finalement très rassurante pour le secteur, qui montre combien les investisseurs ont confiance dans l’avenir du voyage d’affaires et des TMC.

  • L’hôtellerie, le facteur x

Comme le raconte très bien le site The Company Dime (Lire ici), l’hébergement est un « élément majeur de l’opération » entre Expedia et Amex GBT. Le premier, principal concurrent de Booking.com, compte ainsi vendre plus de chambres d’hôtels aux clients de GBT. De son côté, le deuxième va bénéficier des tarifs hôteliers attractifs d’Expedia. GBT continuera-t-il à s’approvisionner auprès de Booking ? Paul Abbott, Pdg d’Amex GBT, a déclaré qu’il était trop tôt pour répondre à cette question.

Autre question : les clients du nouvel ensemble auront-ils encore besoin de négocier directement leurs propres tarifs hôteliers? L’avenir le dira mais Louise Miller, managing partner d’Areka Consulting, s’emballe : « C’est génial pour les acheteurs. (…) Personne ne veut voir un monopole bien sûr mais nous avons besoin de stabilité ».

Steve Reynolds, Pdg de Tripbam, est moins enthousiaste. Toujours cité par The Company Dime, il exprime son scepticisme : «Au fur et à mesure que la concurrence diminue, les acheteurs peuvent finir par payer le prix fort ».

  • Les OBT intégrés marquent des points

Autre fait remarquable : les quatre acteurs de ces deux rachats ont leurs propres systèmes de réservation. Rappelons d’ailleurs que c’était Egencia qui avait commencé à défier le modèle traditionnel de partenariat entre les TMC et les OBT/SBT il y a près de 20 ans avec sa technologie intégrée. Et que GBT est propriétaire de son outil Neo depuis le rachat de KDS en 2016. A priori, Traveldoo, qu’Expedia a racheté il y a dix ans, ne fait pas partie de l’accord de rachat d’Egencia par Amex GBT. A surveiller néanmoins. Et selon le communiqué de presse commun de GBT et Expedia, la prise en charge par Amex GBT des outils de réservation tiers reste inchangée.

Il n’empêche. Comme le dit Louise Miller, d’Areka Consulting, toujours dans The Company Dime : « Alors que nous sommes en pleine pandémie, le marché montre clairement que les écosystèmes fermés font l’objet d’importants investissements. Les OBT tiers ont leur place bien sûr mais cela reste toujours un défi pour les TMC de les implanter ».

  • Une bonne nouvelle pour les clients ?

Toujours dans BTN Europe, on apprend que les clients de Reed & Mackay (qui avait racheté le français Frequent Flyer Travel Paris en 2017) ont été informés que l’ensemble du personnel actuel et la marque seront conservés et que la TMC sera gérée de manière relativement indépendante par TripActions. De son côté, Amex GBT a indiqué un traitement similaire pour Egencia. Plutôt rassurant à ce stade.

Sous couvert d’anonymat, le travel manager d’un compte géré par Egencia prévient cependant : « la manière dont GBT intègrera les opérations et les équipes d’Egencia sera observée de près. Aucun client ne voudra subir de perturbation opérationnelle, surtout à l’approche de la réouverture lente des voyages ».

Concernant le rachat de Reed & Mackay par TripActions, c’est plutôt la différence de culture qui questionne : « Une entreprise technologique de la côte Ouest, dont l’uniforme est composé de tee-shirts, de jeans et de baskets contraste fortement avec le spécialiste britannique des services à haute valeur ajoutée dont les clients portent des costumes et des cravates dans les secteurs du droit et de la finance ».

François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM

TMC : pourquoi une telle frénésie d’appels d’offres ?

TMC : pourquoi une telle frénésie d’appels d’offres ?
Aux Etats-Unis surtout mais aussi en Grande-Bretagne, les entreprises qui changent de TMC sont en nombre anormalement élevé. Explications.
La nouvelle a fait l’effet d’une bombe dans le petit monde du voyage d’affaires. Le mois dernier, Google (4e budget aérien aux US avec 400 millions de $) annonçait qu’il avait désigné American Express GBT comme son unique TMC mondiale au détriment de Carlson Wagonlit Travel (CWT). Mais ce n’est pas la seule entreprise à avoir changé de TMC en pleine pandémie. Eli Lilly et Paypal, qui figurent également dans le top 100 des plus gros budgets voyages américains, ont aussi jeté leur dévolu sur Amex GBT ; BCD a chipé à CWT le budget voyages de l’armée américaine et, selon l’excellent The Company Dime (Lire ici), aurait fait signer aussi McDonald ; dans le même temps, Danaher, un gros conglomérat spécialisé notamment dans les appareils médicaux, se serait engagé avec CWT.
Pourquoi une telle activité alors que d’habitude les très grands comptes rechignent à changer d’agence de voyages ? La première explication est que, compte tenu de la faible activité voyages depuis le 14 mars dernier, les travel managers et acheteurs de ces entreprises ont de la disponibilité et du temps.
Mais surtout, déclare Mike Janssen, directeur commercial de BCD Global, « ils ont réalisé que c’est le moment idéal pour évaluer leurs fournisseurs, leurs politiques, leurs programmes et leurs solutions afin de voir comment ils ont travaillé et comment ils peuvent être améliorés ». David Jonas, le journaliste de The Company Dime, précise qu’en effet la pandémie a révélé des trous dans la raquette, notamment dans les systèmes de suivi des voyageurs et le traitement des billets inutilisés. Or, si elles ne sont pas les seules fautives, les TMC jouent un rôle essentiel dans ces deux domaines.
Andy Menkes, de Partnership Travel Consulting, appuie : « les acheteurs jettent un regard neuf sur la situation et réalisent qu’il est temps de faire des achats intelligents. »
Kate Watson, consultante chez Areka, ajoute que cette frénésie d’appels d’offres est aussi le signe « d’une pression interne exercée sur les équipes voyages pour qu’elles montrent leur valeur et réduisent les coûts » (Lire ici).
De façon moins avouable, les appels d’offres servent aussi à mieux évaluer la solidité financière des TMC qui ont été mises à rude épreuve aux Etats-Unis et dont certaines ont dû licencier jusqu’au tiers et même la moitié de leurs effectifs (la fuite des talents et des compétences est un vrai sujet d’inquiétude).
Un travel manager qui a souhaité rester anonyme le dit sans ambages dans Business Travel News : « Vous ne savez pas qui sera encore là au printemps 2021. Vous ne pouvez pas demander « êtes-vous au bord du gouffre ? », mais vous pouvez examiner dans quelle mesure ils présentent des garanties ».
Un comportement qui a le don d’agacer Karoline Mayr, une consultante de Get Travel Solutions : « toutes ces entreprises qui envisagent de changer de fournisseur pensent qu’elles vont obtenir une meilleure offre ou une sorte de personnalisation rêvée ? Bonne chance ! Faire du shopping de cette façon, c’est juste les frapper quand ils sont à terre.»
Kate Watson, d’Areka Consulting, prend aussi la défense des TMC : « c’est une période vraiment difficile pour répondre à des appels d’offres d’autant qu’elles sont en effectifs réduits ».
Mick Gibbs, le patron de Norad Travel Group, une TMC britannique, insiste quant à lui sur l’impossible visibilité : « si vous lancez un appel d’offres sans savoir ce que les choses peuvent donner, comment pouvez-vous mettre en place un partenariat durable à long terme ? Il y a trop d’inconnues. »
En conclusion, Caroline Strachan, la désormais célèbre consultante de Festive Road, n’hésite pas à remettre les choses à leur juste place : « un appel d’offres permet de savoir comment la relation entre la TMC et l’entreprise se tient en termes de culture (missions et valeurs, personnel, services…), de capacités (gestion des programmes voyages, risque, innovation…) et de commercial (gestion des contrats, finances, gouvernance…). S’il ne s’agit que de quelques problèmes, les acheteurs devraient peut-être s’efforcer de les résoudre avec le fournisseur. S’il y a beaucoup de problèmes, dit-elle, alors il est probablement temps en effet de changer. » CQFD.
François-Xavier Izenic, rédacteur associé de l’AFTM